Chroniques

par monique parmentier

de l’extrême vitalité d’une musique dite ancienne
de Rameau à Monteverdi

Festival de Sablé
- 26 août 2010
© jean-baptiste millot

Cela fait maintenant trente-deux ans que le Festival de Sablé réserve les plus belles surprises à son public, à la fin du mois d’août, trente-deux belles années que Jean-Bernard Meunier, son directeur artistique, renouvelle avec générosité la curiosité de chacun, invitant à partager l’amour de la musique baroque avec des interprètes jeunes ou confirmés. Cinq journées, de trois concerts chacune, bousculent depuis ce temps nos certitudes et parient sur l’avenir de la musique.

Si la musique baroque française est le pivot de la programmation de cette année, certains concerts se consacrent aux musiques allemande, italienne et anglaise. Ainsi n’en percevons-nous que mieux le foisonnement créatif qui, aujourd’hui encore, offre tant de plaisir et d’émerveillement, reflétant la diversité non seulement d’un mouvement musical auquel le mot ancien convient si peu, mais, tout simplement, les saveurs de la différence revendiquée comme un art de vivre. Du concert du Plaisirs du Parnasse, dirigé par David Plantier, on retiendra l’élégance du propos. Son interprétation de la musique sacrée et profane de Biber et de quelques-uns de ses compatriotes contemporains parut une dentelle délicate, sensible et aérienne.

En mai 2009, l’ensemble Ausonia sortait un disque intitulé Que les mortels servent de modèle aux Dieux (Alpha). La maturité du projet en fit une référence. Il le propose ici en une somptueuse version concertante, donnant à voir et à entendre un Rameau plus humain et sensible dont la folle inventivité devient accessible à tous. C’est un homme de théâtre, dont la poésie tragique nous bouleverse, que le talent des artistes fait ici revivre. Frédéric Haas [photo] construit un opéra miniature à partir d’extraits des livrets de Zoroastre et Zaïs, ouvrages composés simultanément et représentés en 1748 et 1749. Une histoire fulgurante surgit de leur dissemblance. De l’architecture ainsi créée émane l’urgence du drame. Ici, plus de ballets galants ni de récitatifs interminables. Avec onze musiciens et deux chanteurs, les couleurs paraissent éclatantes et plus franches que jamais, les contrastes plus saisissants ainsi que les nuances, mystérieuses et raffinées.

Regards et sourires échangés par les musiciens créent une connivence du public dans la musique. La direction, partagée par Frédéric Haas au clavecin et Mira Glodeanu au violon, et la disposition en demi-cercle de l’ensemble instrumental font de chacun de nous les acteurs du geste musical. La violence de Zoroastre et la sensibilité de Zaïs s’unissent avec fougue. L’éloquence et les timbres des deux chanteurs sont parfaits. Si le soprano clair et tendre d’Eugénie Warnier bouleverse dans le désarroi et invite à la rêverie, alors que le soleil offre au monde ses premiers rayons, la basse souple, ardente et subtile d’Arnaud Richard émeut tout autant. Ils donnent à la palette des sentiments prêtés aux dieux les déchirantes harmonies des amours humaines.

Cette palette ne peut que rappeler celle de Monteverdi.C’est avec lui que le Poème Harmonique, dirigé par Vincent Dumestre, conclut la journée. À la source de l’opéra, le Combattimento rencontre ici des interprètes inspirés : Marc Mauillon en superbe Testo, Isabelle Druet, farouche Clorinde et Jan van Elsacker, noble Tancrède. Instrumentistes et chanteurs semblent vivre cet amour à mort, cette passion absolue qui se reflète en des clairs obscurs rougeoyants, comme dans l’inoubliable et désormais légendaire Lamento de la Ninfa qu’interprète avec une fervente fragilité Claire Lefiliâtre.

Vincent Dumestre cultive les perles baroques depuis plus de dix ans, pour notre plus grand bonheur. Ne laissant pas à la tragédie le dernier mot, il invite à découvrir une œuvre merveilleuse : la Fiera di Farfa de Marco Marazzoli. C’est une fête envoutante, ensorcelante comme un carnaval où les masques cachent ou dévoilent en de foudroyants éclats des déchirures et des joies, faisant passer du rire aux larmes. En un doux délire, les personnages de commedia dell’arte conduisent à la pirouette finale : une parodie d’Il combattimento di Tancredi e Clorinda, s’achèvant en une tarentelle diaboliquement envoûtante. Covielle charlatan et poète, Serge Goubioud nous entraîne en une spirale infernale et sensuelle dont on aimerait qu’elle ne s’achève jamais, nous abandonnant sur ces rives étranges où, pendant un peu plus d’une heure, l’harmonie a régné.

MP