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Chroniques
De Profundis et Requiem français
Christophe Rousset et Les Talens Lyriques
Après trois semaines, nous retrouvons les rousses collines lumineuses du Bugey et les derniers moments de l’édition 2003 du Festival d’Ambronay. Dans une programmation concentrée sur la redécouverte de l’œuvre de Vivaldi, et surtout des partitions les moins connues, avec quelques merveilles comme les Motets, les Vêpres, des concerti rares et, surtout, l’Orlando furioso, mises intelligemment en relation avec la production italienne qui lui fut contemporaine, on remarque l’apparition de soirées françaises consacrées aux musiques de Rameau, Dufay, etc. À l’honneur ce soir : celle des provençaux Campra et Blanchard, tous deux élèves du même maître (Guillaume Poitevin, à Saint-Sauveur d’Aix), proposée par Les Talens Lyriques, ensemble qui s’est particulièrement illustré dans cette partie du répertoire baroque.
Esprit Joseph Antoine Blanchard est né à Pernes, dans le Vaucluse, en 1696. Il occupera des postes en vue à Saint-Victor de Marseille dès ses vingt-et-un ans, à la Cathédrale de Toulon quelques années plus tard, à Besançon en 1733, puis à Amiens. Enfin, il sera sous-maître de la Chapelle de Versailles en 1738, directeur des pages en 1748, pour finir Maître de la Chapelle Royale en 1761. Mort en 1770, il laissait une importante collection de Grands Motets qui, de nos jours, inspira les études de quelques universitaires américains.
De son De Profundis de 1740, nous entendons une interprétation assez équilibrée, où cependant les ténors du chœur Les Éléments accusent quelques déficiences par des attaques d’une crudité en désaccord avec la sonorité générale et des soucis de justesse entraînant les autres voix vers de dangereux abîmes. On apprécie le timbre chaleureux de la basse Thierry Felix qui mène la phrase avec élégance. En revanche, Robert Getchell donne un Quia opud Dominum d’une voix crue et un peu fausse d’enfant turbulent. Les interventions du chœur prennent plus de relief au fil de l’exécution, rendant celle-ci tout à fait dramatique avant de donner un Requiem aeternam retenu, dans le climat de sérénité qu’appelle le texte. Le ton change complètement avec un Et lux perpetua fugué et jubilatoire dont fort justement Christophe Rousset assouplit le tactus pour créer un intéressant effet d’effervescence.
Cette visite de Versailles se poursuit par le Requiem d’André Campra.
Ce dernier fut surtout un compositeur de théâtre. Né en 1660 dans une famille piémontaise installée à Aix, il précéda Blanchard dans la carrière de musicien d’église, entrant dans les ordres en 1687. Il connaîtra plusieurs fonctions à Arles, Toulon, Toulouse, etc., avant de se voir nommé à Notre-Dame, à trente-quatre ans. Mais après quelques années, Campra écrira des tragédies lyriques et des opéras-ballets, ce qui lui vaudra de perdre son prestigieux poste à Notre-Dame. Cette partie de son œuvre le rendit très célèbre en son temps et si les siècles à suivre l’oublièrent, on a pu redécouvrir son Tancrède sur nos scènes il y a quelques années, et l’on pourra voir son Idoménée au printemps prochain (Tourcoing). Campra revint à la musique d’église pendant les vingt dernières années de sa vie : c’est de cette période que date le Requiem.
Dès les premières mesures du Requiem aeternam, un ton plus recueilli et plus droit impose une certaine solennité. Avec un Kyrie plutôt lyrique, l’œuvre rappelle discrètement la fantaisie de ses ouvrages pour la scène. Anna-Maria Panzarella et Salomé Haller s’y montrent de grandes vocalistes, bien que la seconde offre un chant un peu emprunté et précautionneux. On goûte l’indéniable style de Jean-François Novelli qui, par ailleurs, réalise des fins de phrases soigneusement filées. Cette exécution s’achève dans une expressivité accentuée, à l’inverse du dernier verset de la pièce de Blanchard : ici, c’est avec angoisse que le chœur évoque le repos éternel.
BB