Chroniques

par gérard corneloup

Death in Venice | Mort à Venise
opéra de Benjamin Britten

Opéra national de Lyon
- 23 mai 2009
Death in Venice, opéra de Britten d'après Thomas Mann, à Lyon
© dr

Au petit jeu des correspondances chronologiques, La mort à Venise ne manque pas d'atouts. C'est au printemps 1911 que l'écrivain allemand Thomas Mann effectue un séjour dans la cité des doges d'où il ramène l'idée d'une nouvelle, écrite dans la foulée et achevée l'année suivante, sous le titre de Der Tod in Venedig. Et c'est au même printemps 1911 que disparaît le compositeur autrichien Gustav Mahler dans lequel bien des commentateurs verront le modèle du (triste) héros de Mann, Gustav von Aschenbach, pour sa part vieux romancier littéralement fasciné par la beauté d'un adolescent, au point de rester à contempler l'objet aimé dans la Sérénissime pourtant frappée par le choléra … quitte à y succomber.

Soixante ans plus tard exactement, en 1971, c'est à la fois le cinéaste italien Luchino Visconti qui tourne le film Morte a Venezia, grande fresque opulente et mortifère, distillant d'ailleurs les effluves de l'Adagietto puisé dans la Cinquième Symphonie de Mahler, mais également le musicien anglais Benjamin Britten qui décide de composer un opéra – qui sera son dernier – afin d'offrir au ténor Peter Pears, son compagnon dans la vie, un nouveau rôle qui lui permettra de remonter sur scène. Lui aussi puise dans la nouvelle de Mann, traduite par son librettiste habituel, Myfanwy Piper. Dès octobre de cette année-là, Britten et Pears sont à Venise… Toutefois, l'écriture s'étire, plusieurs fois interrompue et reprise, avant que Death in Venice soit finalement créée en 1973.

Au printemps 2009, le directeur de l'Opéra national de Lyon, Serge Dorny, l'homme des ouvrages oubliés, offre aux mélomanes la création de l'ouvrage, sur la scène de leur vénérable Grand Théâtre dûment « nouvelisé », alors même que le joyau de l'Adriatique sert de cadre à la présentation de la nouvelle collection Chanel, largement inspirée du très esthétique Mort à Venise de Visconti, assure la presse internationale. Sans oser s'avancer dans le domaine de la mode, l'observateur ne peut que souligner la qualité, la cohérence, la beauté qui scellent ce spectacle tant aux niveaux musical et vocal qu'à celui de la composante scénique, même si l'ultime partition du Britannique, un peu hétérogène autour de l'écrasant rôle d'Aschenbach, dont les (longs) soliloques sont traités en recitativo secco accompagné au piano, n'atteint pas les sommets de bien des précédentes

Tout à l'opposé des tentures et dorures viscontiennes, le travail du metteur en scène japonais Yoshi Oida joue la carte de la simplicité, de la ductilité et, du coup, de l'efficacité. Celle des simples regards, des banales démarches, des éléments primitifs tels l'eau, ultra présente, le bois dont sont faites les passerelles sur lesquels les personnages se meuvent. Celle aussi des corps d'adolescents insouciants et rieurs – ici les jeunes danseurs du CNSM de Lyon, parfaits dans la judicieuses chorégraphie de Daniela Kurz – que l'on peut voir chaque été, jouant sur les plages de France et d'Italie. Sur ce monde qui vit intensément son quotidien, et qu'Aschenbach observe, à la fois dérangé, fasciné et médusé, plane l'ombre des dieux Apollon et Dionysos, célébrés par les écrivains antiques chantant également l'amour des garçons, tels Alcée, Anacréon, Pindare et quelques autres. Mais aussi l'ombre de la mort qui aura finalement raison des certitudes et des hésitations de l'écrivain victorien, alors que le bel indifférent continuera sa route, dans le sillage de Madame Mère.

Cette cohésion féconde scelle également l'ensemble de la distribution, du ténor Alan Oke également convaincant comme chanteur et comme comédien dans le rôle de Gustav von Aschenbach, au baryton-basse Peter Sidhom dans celui, unique et multiple, des divers interlocuteurs maléfiques du héros. Du timbre limpide de Christopher Ainslie (Apollon) à la musicalité extrême des choristes maison que l’œuvre sollicite souvent en solistes. Si l'on ajoute la direction souple et déliée de Martyn Brabbins et les beautés développées par l'Orchestre de l'Opéra national de Lyon, on aura (presque) tout dit de cette production d'où le mélomane sort à son tour fasciné… et bien vivant.

GC