Chroniques

par bertrand bolognesi

Deidamia
opéra de Georg Friedrich Händel

Händel Festspiele / Opernhaus, Halle
- 11 juin 2003
Deidamia, opéra de Georg Friedrich Händel
© gerd kiermeyer

Le très actif Festival Händel reprenait sa production lyrique de 2002, Deidamia, opéra en trois actes que le compositeur écrivit en 1740 juste après l’échec cuisant d’Imeneo [lire notre chronique du 8 juin 2003], et qui ne vécut que trois malheureuses représentations, lui aussi boudé du public. Paolo Rolli conçut un livret maniant volontiers l’équivoque, à commencer par la ruse de Thétis cachant son fils Achille sous des vêtements féminins. On a pu constater le développement d’un certain humour dans les ouvrages de ces années-là, et celui-ci, qui constitue la dernière contribution du maître à la scène, n’en est pas dépourvu. Bien que ses auteurs se soient vraisemblablement fort amusés à l’écrire, on pourra comprendre la réaction froide du public de l’époque : l’on pardonne difficilement au génie de faire juste aussi bien que ses contemporains, de ne pas se toujours surpasser.

Deidamia reste assez pauvre, peu inventif, et n’hésite pas à faire les fonds de tiroirs pour resservir de vieilles trouvailles. On y sent une sorte de lassitude, ou de désintérêt pour le genre et ses spectateurs qui s’étaient à plusieurs reprises révélés ingrats. Peut-être Händel est-il tout simplement happé par l’air du temps. Il a déjà créé son Allegro, il penseroso ed il moderato et connaît vraisemblablement des difficultés naturelles à faire marche arrière.

Des trois vusce printemps à Halle, c’est indéniablement Deidamia qui bénéficie de la plus belle fosse. Les pupitres sont très équilibrés, et l’hystérie inquiète des cordes rencontre avantageusement l’élégie des bois. On retrouvait Katrin Wittrich au clavecin, entendue dimanche soir ici même, secondée par Massimiliano Toni, et l’on saluera les interventions délicieuses de Francesco Romano au théorbe. L’Orchestre du Festival Händel est ici dirigé par le vif Alessandro De Marchi dans une lecture enlevée, élégante, tonique. Cette fois, aucun souci de hauteur de son : les musiciens se sont montrés fiables et fidèles.

Sur scène s’avère gênant l’emploi systématique de femmes dans des rôles d’hommes. C’était alors monnaie courante, la mode napolitaine n’ayant pas vu scrupules à faire chanter les nourrices par des barytons. Achille incarné par une femme plutôt que par un contre-ténor n’est pas incongru, étant donnée la situation de travestissement qui à elle seule fait le sujet de l’œuvre. La partition semble d’ailleurs manifestement écrite pour une femme. Mais Ulysse ? Le choix vient ajouter à la confusion. Il est vrai que Lucia Sciannimanico donne le change avec beaucoup de crédibilité par un jeu étudié jusqu’en ses moindres détails. Le metteur en scène joue avec cette question en habillant le roi Lykomedes en vieille coquette du XVIIIe siècle au début du premier acte.

Anke Amou (Achille) charme par un joli timbre et quelques vocalises légères. Wolf Matthias Friedrich (Lykomedes) déploie des graves somptueux ; si l’on déplore le manque de phrasé et un chant mené en escalier, son si divertissant personnage est tenu d’un bout à l’autre du spectacle. La Deidamia d’Ann Monoyios est excessivement confidentielle, à tel point qu’elle ne parvient pas à dominer le duo de clavecins d’In vano... (récitatif de la Scène 5 de l’Acte I). Quant à son aria de clôture d’acte, Nasconde l’usignol’in alti rami il nido, s’y perçoivent des vocalises et variations délicates et intéressantes (sans perdre à l’esprit qu’elles sont libres, à ce moment, de tout accompagnement instrumental). Si le timbre attachant et sonore de Martin Kronthaler sert un Phénix honorable, ce sont surtout Ulysse et Nerea qui bénéficient des voix les plus marquantes. Après un temps de chauffe assez long qui rend ses premières apparitions guère convaincantes, Lucia Sciannimanico ravit dès le deuxième acte par un timbre chaleureux, un legato envoûtant et une vraie présence scénique. Enfin Anke Herrmann gratifie l’écoute de vocalises inégalées, notamment dans Di lusinghe, di dolcezza non fatica non asprezza parfaitement exécuté, en assumant des ornements splendides sur le Da Capo. De même la félicitera-t-on pour son Quanto ingannato (Acte II).

Quant à la mise en scène...
Merci aux belugas de l’acte médian et à leur famille (les zoologues comprendront le fond de ma pensée).

BB