Chroniques

par bertrand bolognesi

Denis Raisin Dadre et Doulce Mémoire
Grande Messe à la Chapelle de l'Empereur Rudolph II

Festival de Sablé / Église Saint Louis, Prytanée de La Flèche
- 23 août 2006
à Sablé, Grande Messe à la Chapelle de l'Empereur Rudolph II
© dr

Comme chaque année, le Festival de Sablé présente rien moins que trois concerts par jour, rythmant intensément un public qui se déplace de villages en églises durant cinq journées. Notre séjour sarthois commence mercredi par la Grande Messe à la Chapelle de l'Empereur Rudolph II, donnée par l'ensemble Doulce Mémoire et de jeunes chanteurs tchèques formés au chant Renaissance par Denis Raisin Dadre. Sur l'axe Prague-Sablé mis en place il y a trois ans, Jean-Bernard Meunier, le directeur artistique du festival, nous éclaire :

« Depuis un moment, je souhaitais travailler avec un pays entrant dans l'Europe. Il ne s'agissait pas d'assurer ponctuellement une création mais de développer un partenariat suivi, de mener un vrai projet artistique pour une action pérenne. Je connaissais le Directeur de l'Institut Français de Prague. Il m'informa sur l'énorme patrimoine musical pragois, tant pour la période baroque que pour la Renaissance. Mais les moyens locaux nécessaires à son exploration sont inversement proportionnels à sa richesse. L'idée est venue d'imaginer une collaboration qui permettrait cette passionnante investigation. Entre l'Institut et le Festival de Sablé un partenariat de trois ans fut signé, partenariat dont les axes principaux sont recherche, création et diffusion. Forts du succès rencontré par ce projet (soutenu dans sa globalité par Culture France), nous venons de renouveler l'engagement pour trois nouvelles années ».

Quelles actions menez-vous ?
« Ce sont toujours des échanges. Nous proposons à des artistes français d'aller à la découverte de partitions tchèques, et nous les mettons en relation avec des musicologues pragois. Sur place, ils donnent des master-classes et travaillent sur une œuvre dont ils assurent la création. Il y a plusieurs possibilités : soit la distribution est entièrement française, soit elle est mixte, ce que je trouve beaucoup plus intéressant. Par exemple, la chanteuse Valérie Gabail se produit avec l'ensemble Musica Florea, ou encore Doulce Mémoire et Denis Raisin Dadre donnent la Grande Messe à la Chapelle de l'Empereur Rudolph II avec des chanteurs tchèques. Ces programmes sont d'abord créés en République Tchèque : c'est essentiel, car il ne s'agit pas de se servir dans un répertoire qui n'est pas le nôtre (la joie de la découverte n'est pas une appropriation). Avant tout, l'esprit de cette opération est de partager. Ainsi, l'on invite des musiciens tchèques à Sablé, de même que l'on accueille deux étudiants tchèques (que nous prenons en charge) à suivre notre Académie. Par ailleurs, la Cie L'Éventail s'est produite aux Fêtes baroques d'été de Prague, en juillet dernier, aux côtés des instrumentistes de Collegium Marianum ».

À propos de l'absence à Prague de moyens suffisants pour explorer son patrimoine, quel état des lieux dresseriez-vous ? « En fait, la culture symphonique romantique (Dvořák, Smetana, etc.) occulte la musique ancienne. Par exemple, sans salle pour travailler Musica Florea dut aménager un garage de la banlieue pragoise pour répéter ses programmes. Les jeunes artistes ne peuvent pas trouver de formation aux pratiques de la musique ancienne – on essaie d'ailleurs d'imaginer comment décentraliser une partie de l'Académie de Sablé à Prague (peut-être pour 2008, je l'espère). Plus catastrophique encore : ils n'entendent quasiment jamais de viole de gambe ou de haute-contre. Et il n'y a pas de lutherie spécialisée, de sorte que certains vont jusqu'à construire eux-mêmes leurs instruments. C'est vous dire leurs engagement et enthousiasme ! »

Comment la politique éditoriale du label Sablé chez Zig-Zag Territoires s'inscrit-elle dans ce partenariat ? « Nous venons de publier Universi Populi, chants sacrés à Prague du XIIe au XVe siècles par Discantus et Brigitte Lesne. En mai prochain, nous graverons la Grande Messe à la Chapelle de l'Empereur Rudolph II avec Doulce Mémoire. C'est facilement accessible au public français, mais moins évident pour le mélomane tchèque, car le marché local n'affiche pas les mêmes prix et ne s'adresse pas au même pouvoir d'achat. Il faut savoir qu'à Prague, un CD est vendu environ deux tiers du prix français, ce qui n'est pas négligeable. Nous œuvrons aujourd'hui dans l'espoir de pouvoir diffuser en République Tchèque les disques produits dans le cadre de ce partenariat, mais au prix du marché local, bien entendu ».

Après trois ans, quel bilan dressez-vous ?
« Nous avons honoré notre cahier des charges, à l'écoute des acteurs locaux, principalement grâce à la permanence de l'Institut Français. Les contacts directs se sont multipliés durant les trois premières années, de sorte que nous dépassons aujourd'hui le cadre institutionnel, ce qui, dans les trois prochaines, va nous permettre d'approfondir nos objectifs communs. En tout cas, c'est une fort belle aventure. Prenons un exemple : Musica Florea travaille sur les musiques des Cours de Bohème, musiques qui subirent de larges influences françaises ; c'est important pour Prague qui trouve de nouveaux moyens pour rencontrer sa propre histoire musicale et tout autant pour nous, car il s'agit d'une découverte et d'une ouverture sur lesquelles il est permis de rêver de construire un jour une identité culturelle européenne ».

En 1576, le Habsbourg Rudolph II venant d'accéder à la couronne du Saint-Empire place le compositeur Philippe de Monte à la tête de sa Chapelle. Denis Raisin Dadre a construit autour de la Missa super confiteor tibi Domine de Monte un programme rendant compte de la présence d'autres musiciens à la Cour de Rudolph, comme Oroglio, Regnart, etc.

Investissant l'Église Saint-Louis du Prytanée de La Flèche, il fait sonner les vents d'une première Intrada d'Alexander Oroglio depuis la galerie supérieure gauche, mettant ainsi en scène l'espace et l'acoustique. L'Exultent iusti de Jacob Regnart répond ensuite en galerie droite, dans un grand souci d'équilibre, stimulant l'écoute. Un chanteur gagne le chœur pour l'Introit tandis que, peu à peu, Doulce Mémoire et les voix l'envahissent pour interpréter la pièce maîtresse de la soirée. Dès le Kyrie de cette messe à double chœur, on constate une joie certaine dans l'articulation du chant, voire une relative sensualité. C'est encore la musique de Philippe de Monte qui ferme ce moment, après que les artistes nous aient fait entendre un Laudate pueri de Lambert de Sayve et d'autres pièces d'Oroglio et de Regnart.

BB