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Chroniques
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
opéra de Richard Wagner
Ce sont trois reprises qui ouvrent la saison de l'Opéra national de Paris. L'automne sera, pour ainsi dire, celui des souvenirs, entre une Italiana in Algeri signée Andreï Serban [lire notre chronique du 11 septembre 2010] et deux productions jadis confiées à Willy Decker : Eugène Onéguine et ce fliegende Holländer. Et si octobre affiche Il Trittico, d'ailleurs imprécisément annoncé « nouvelle production » alors qu'il s'agit de la mise en scène milanaise de Luca Ronconi (2008), il n'en rebondira pas moins dans le passé, avec les magnifiques (quoiqu’antédiluviennes) Nozze di Figaro du grand Strehler. Patientons donc jusqu'à la mi-novembre pour trouver ici du nouveau : Mathis der Maler, le chef-d'œuvre de Paul Hindemith qui s'inspira du destin de Matthias Grünewald – dont nous vous invitons à admirer le célèbre retable à Colmar (lequel retable inspira le compositeur britannique Jonathan Harvey, soit dit en passant). Il sera toutefois moins excessif de parler d'une rentrée « routinière » que d'un prélude sur une rentrée différée.
Esthétique en diable, cette réalisation n'a pas pris une ride en dix ans. Aussi simple qu'il soit, le principe scénographique s'avère efficace, replaçant à lui seul l'intrigue dans une intériorité trouble, celle de la maison de Daland hantée par la figure légendaire, der fliegende Holländer, celle de sa fille Senta qui, pour finir, se perce un cœur que le mystère avait percé depuis longtemps – il ne saurait être indifférent qu'elle accomplisse ce geste de mort avec le poignard d'Erik, amoureux de chair et de vie rival de ses chimères. De fait, le couple de cette représentation n’est pas la jeune femme et le maudit, comme l'affirment tant l'option de Decker qu'une distribution faisant la part belle aux jeunes gens, aux vivants. Aussi, l'aspect fantastique de l'ouvrage se transfère-t-il « solidement », pour ainsi dire, dans une réalité simplement triviale. Car ici, pas plus de passion dans la rencontre centrale, se résumant en un hiératique échange d'images, que de mer déchaînée, mais, au contraire, une vie bien terrestre où s'inscrit un couple en rupture formé par deux êtres qui découvrent leur incompatibilité. L'intrigue se déplace, la rédemptrice Senta s'avère damnée aux yeux du chasseur rejeté par les gens de mer (la mise en scène, au début de l'Acte II, suggère un conflit de clan), bouillant Erik qui ne sait la sauver.
Ainsi Adrianne Pieczonka et Klaus Florian Vogt (tous deux pour la première fois dans cette maison) portent-ils au sommet le couple Senta-Erik, comme jamais, éclipsant la distribution. En un format idéal, le soprano conjugue velours et clarté. Nuancé et sensible, son chant bénéficie d'une conduite précise investie d'une aura évidente. On retrouve l'excellent ténor allemand qui campe un Erik vaillant, tendre, clair, à l'émission facile, de cette couleur presque enfantine qu'on lui connaît. Vogt fait souverainement confiance à la musique, sans excès théâtral, laissant la voix dire tout, yeux grands ouverts. Face à une Senta perdue dans ses rêves, c'est irrésistible.
Les grandes voix impressionnent mais ne suffisent guère à dignement incarner les rôles qui leur sont confiés. Si Matti Salminen offre à Daland une puissance qui saute à l'oreille, son vibrato désormais trop lâche vient tout gâcher. De même faudra-t-il avouer que James Morris, autrefois immense Hollandais, fait aujourd'hui ce qu'il peut, profitant d’un sens musical éprouvé pour pallier les fatigues de l'âge. En revanche, quoique dans un allemand incompréhensible – c'est le lot partagé par de nombreux mezzo français que de « machouiller » le texte, y compris lorsqu'il est dans leur langue natale –, Marie-Ange Todorovitch donne une Mary au chant bien mené, dans une couleur vocale attachante. Enfin, le jeune ténor suisse Bernhard Richter, dont nous soulignions la belle prestation dans Dialogue des carmélites à Munich [lire notre chronique du 9 juillet dernier], est ici un frais Steuermann, d'une clarté remarquable.
Deux écueils à cette soirée, néanmoins : un chœur vaillant, tant les hommes du premier acte que les femmes du deuxième, mais vertigineusement décalé dans le dernier ; un chef qui livre une lecture assez brutale de l'Ouverture dont il distend jusqu'à la platitude le second thème, et qui poursuit dans une exécution sans relief véritable, s'engluant dans une copieuse pâte sonore cruellement inexpressive. Pourtant, l'Orchestre de l'Opéra national de Paris arbore indéniablement une grande forme. Dommage.
BB