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Chroniques
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
opéra de Richard Wagner
C’est Peter Konwitschny, l'un des metteurs en scène emblématiques du Regietheater allemand, qui signe cette production du Vaisseau fantôme, dernier des spectacles que cette année nous suivrons au festival munichois. Eu égard à la sulfureuse réputation de Konwitschny, le premier acte est d'un classicisme surprenant : les marins sont de vrais marins, ils voyagent en bateau (dont on voit seulement la passerelle d'accès) et subissent unevraie tempête. Le Hollandais est vêtu d'une magnifique tenue de capitaine du XVIIe siècle, avec bottes, chapeau à plumes et dentelles au col – seul petit contresens : le fait que l'équipage soit vêtu à peu près comme lui ; son navire comprend une ribambelle d'officiers, mais aucun matelot –, qui forme un fort contraste avec les vêtements modestes et plus contemporains de Daland et ses hommes.
Tout ceci ne prépare guère au grand n'importe-quoi que constitue l'Acte II : l'action se passe dans une salle de fitness, les fileuses pédalent sur des vélos d'appartement en attendant le retour de leurs chéris, avec Mary en guise de coach. Senta arrive avec le portrait du hollandais sous le bras, retire son imperméable et enfile sa tenue de sport. Elle passera la ballade à courir entre les agrès pour tenter de récupérer son tableau. L'entrée d'Erik est aussi cocasse : il arrive en peignoir de bain et pantoufles pour annoncer le retour du navire de Daland (qu'il a sûrement vu dans les bulles du jacuzzi). C'est ensuite au tour du Hollandais de rencontrer Senta, pour une scène durant laquelle les deux promis minaudent et finissent par trinquer au champagne, lui en bottes et cape, elle en collants de gymnastique. Quand Daland arrive, on ne comprend plus rien, car il est quand même censé rentrer chez lui. Est-il capitaine à mi-temps, et gérant de la salle quand le bateau est à l'ancre ? Qu'a-t-il prévu pour le Hollandais auquel il offre son hospitalité ? Devra-t-il donner un coup de main à la cafétéria ou sera-t-il préposé à l'entretien des vestiaires ?
Après ces élucubrations, le troisième acte renoue avec un cadre plausible : la fête du retour se passe dans une auberge plutôt qu'autour du vaisseau du hollandais. Son équipage à la triste figure est assis autour d'une table, alors que les norvégiens sont au comptoir, éclusant leurs chopes et lutinant leurs donzelles. Le tableau est crédible, jusqu'à l'entrée de Senta qui passe à deux mètres du Hollandais sans le voir, suivie par Erik qui a enfin eu le temps de s'habiller. Le Hollandais n'a même pas besoin de se cacher pour tout écouter : il est assis avec ses hommes, dos au public. Lorsqu'il en a assez entendu, il se lève et Senta le reconnaît. Tout cela ne serait rien si Senta, au lieu de se jeter dans la mer pour le suivre, comme il est écrit, ne jouait les artificières en mettant le feu à un tonnelet de poudre. Voilà qui change complètement la signification de l'épilogue : Senta, qui est censée se sacrifier pour obtenir le salut du Hollandais en le rejoignant dans les flots, devient ici une terroriste qui se fait exploser, avec toute l'assemblée, son homme compris. Ne parlons même pas de la probabilité de trouver un tonneau de poudre, négligemment posé dans le coin d’un estaminet. Notons encore qu'après l'assourdissante explosion, ce n'est pas l'orchestre qui joue les derniers accords, mais un enregistrement.
Ce naufrage scénique est heureusement compensé par une prestation musicale de bon niveau.Anja Kampe (qui a déjà tenu le rôle à La Monnaie) est une très bonne Senta, au chant puissant et bien projeté, au timbre lumineux et à l'intonation sans faille, compensant largement un vibrato un peu trop marqué. Le cas du Hollandais est plus problématique :Juha Uusitalo, au physique imposant (lui permettant même de soulever sans effort Matti Salminen), a une forte présence scénique qui ne débouche cependant pas sur une incarnation vocalement marquante. La voix est belle mais manque un peu de puissance, avec un grave assez inconsistant ; le chant est soigné, mais a peu d'impact et gagnerait à être plus articulé. Malgré le peu de contenance que lui donne son accoutrement, Kurt Streit est un Erik viril et sonore. Néanmoins, le Daland de Matti Salminen lui ravit la palme. Après de longues années de carrière, la basse finlandaise conserve un timbre remarquablement préservé, des graves imposants, et manifeste une volonté constante de chanter son rôle plutôt que de l'aboyer.
AvecWagner, le Bayerisches Staatsorchester est dans un répertoire qui lui convient à merveille. Il fait preuve d'unité et de puissance, de même que les chœurs, incisifs et éloquents. Ils sont malheureusement placés sous la direction d'un Ádám Fischer qui cherche à donner du souffle à ses troupes mais se montre surtout brutal et avare de nuances.
RL