Chroniques

par gérard corneloup

Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
opéra de Richard Wagner

Chorégies / Théâtre antique, Orange
- 12 juillet 2013
Der fliegende Holländer, opéra de Richard Wagner
© bruno adadie – cyril reveret

La célébrissime manifestation, connue comme l’un de pilier des festivals lyriques français, ne pouvait ignorer les deux grands bicentenaires qui marquent l'année, celui de Giuseppe Verdi et celui de Richard Wagner. Autant le premier, fort goûté des lyricophiles constituant le gros du public, est un habitué des Chorégies – il sera d’ailleurs présent début août avec son Ballo in maschera –, autant le second est plus chichement accueilli devant le grand mur romain, attirant nettement moins de monde. Le directeur Raymond Duffaut a pourtant audacieusement décidé d’ouvrir son édition 2013 avec Le vaisseau fantôme, ouvrage wagnérien, certes, mais de jeunesse, encore tout embué dans la phraséologie musicale du romantisme allemand, façon Weber, Lortzing et consorts – une audace dont il fallut modérer l’ardeur devant la mobilisation homéopathique des susdits lyricophiles en ramenant le nombre des représentations de deux à une seule.

L’audition et la vision de ce spectacle amènent à la fois plaisirs et frustrations, remarques admiratives et séduites, mais aussi dubitatives et interrogatives.

Premier atout : la parfaite adéquation entre œuvre et lieu. Celui-ci est imposant, immense, très présent, donc redoutable. Tout l’art de la décoratrice Emmanuelle Favre est d’avoir judicieusement et sobrement habillé le vaste plateau pour raconter cette légende fantastique des temps jadis, rencontre entre un marin condamné à errer éternellement sur les flots et la fille d’un capitaine norvégien, prête à lui donner sa vie pour l’arracher à la malédiction. Base de cette rencontre vite devenue fascination et passion, la nef portant le damné et ses ombres d’hommes d’équipage dresse d’emblée sa sombre et inquiétante silhouette surgie de l’eau, sur la désolation d’une plage sinistre à souhait. Là, les individus vont subir leur destin quand hommes et femmes vivront leur quotidien, avec son travail, ses distractions, ses chansons… et ses observations du drame qui se joue sous leurs yeux.

On espérait tout de même mieux de la dramaturgie imaginée et (sommairement) réalisée par Charles Roubaud, un vieil habitué du Théâtre antique. Il est vrai que les costumes sans rime ni raison (sinon sans laideur) de Katia Duflot n’apportent vraiment pas grand-chose. Pas plus que la banale animation des imposantes masses chorales, parfois un rien hétérogènes. Heureusement, la mise est sauvée par les superbes lumières imaginées par Jacques Rouveyrollis et la vidéo particulièrement efficace à dépeindre les flots, tour à tour apaisés et déchaînés, fort bien réglée par Marie-Jeanne Gauthé.

Tout en restant avant tout un opéra de chanteurs, Der fliegende Holländer est déjà un opéra d’orchestre où la fosse tient une place essentielle (même si ce n’est pas encore celui du Ring et, à plus forte raison, celui de Parsifal). Peut-être desservie par la position assise, la direction, voire la conception définie et développée par Mikko Franck, allie deux caractéristiques très nettes dont la symbiose n’est pas toujours parfaite, loin de là. D’une part, elle magnifie incontestablement la composante instrumentale, tirant de l’Orchestre Philharmonique de Radio France des beautés inouïes, tant des cordes que des vents, superbes d’autorité, en passant par des bois finement mis en valeur. L’ennui est que cette approche déjà « tétralogique » tire la partition du jeune Richard vers des rivages qu’elle n’atteint pas encore, d’où des élans frisant parfois l’emphase, comme dans certains ensembles, et des tempi d’une incroyable lourdeur, comme dans le pétillant (en principe) chœur des fileuses (II). Autre handicap, cette approche trop concentrée sur la fosse s’avère peu attentive à la scène, lors des scènes chorales ou des arie sommairement suivies pas l’œil du maestro.

Il est vrai que la distribution choisie manque de cohésion, mêlant les parfaites beautés du chant et du théâtre à ce qu’il faut bien appeler des insuffisances. Passons sur le Hollandais incolore, inodore et sans saveur d’Egils Silins, planté là, pour saluer le Daland au chant bien posé et bien maîtrisé de Stephen Milling, l’Erik expressif, musical à souhait, à l’aigu superbe d’Endrik Wottrich, le Pilote lyrique et chantant, au phrasé impeccable de Steve Davislim et la Mary à la ligne vocale fort bien maîtrisée de Marie-Ange Todorovitch. Terminons par le pur plaisir qu’offre la vocalité mais aussi la présence scénique d’Ann Petersen, Senta au chant délié, posé et parfaitement mené. Wagner et le spectacle lui doivent beaucoup.

GC