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Chroniques
Der Jasager, der Neinsager | Celui qui dit oui, celui qui dit non
opéra de Kurt Weill
C'est après avoir écoutéHomme pour homme, la pièce de Bertold Brecht (Mann ist Mann, 1925) à la radio que Kurt Weill, séduit, rencontra le dramaturge. Trois ans plus tard, les deux hommes ont entrepris plusieurs collaborations, dont le célèbre Opéra de quat’sous (Die Dreigroschenoper, 1928). Moins connu, l'opéra pour enfant Celui qui dit oui, celui qui dit non (Der Jasager, der Neinsager) est créé à Leipzig en 1930. Il s'inspire d'un conte japonais du XVe siècle.
Accompagné de son instituteur et de quatre étudiants, un jeune garçon entreprend un périlleux voyage pour rapporter des médicaments à sa mère malade. À mi-parcours, l'enfant n'a plus la force d'avancer. Il se retrouve alors soumis à une coutume ancestrale qui consiste à précipiter dans la vallée le faible qui ne peut plus continuer son chemin. Celui qui dit oui accepte cette coutume – et ce consentement équivaut à consentir à sa propre mort. Celui qui dit non refuse la tradition et invente une nouvelle coutume : ainsi le Nouveau supplante-t-il l'Ancien pour produire du meilleur.
Pièce didactique oblige, solution et contre-solution sont examinées au cours du même opéra, selon une dialectique et un angle typiquement brechtiens : le consentement –Einverständnis. Si, dans la période de sa composition (les dernières années de la République de Weimar), l'œuvre revêt une résonance particulière devant l'adhésion de plus en plus grande au parti nazi, l'acuité du propos ne se borne pas à cette période critique de l'Histoire. La question du consentement peut être posée en toutes circonstances. Il suffit pour cela de remplacer le mot coutume par monde : faut-il accepter le monde tel qu'il est ou le changer ? Tel est le sens du geste révolutionnaire.
Dans cette pièce construite à la façon du Smocking/no smocking (film d'Alain Resnais, 1993), une des gageures du metteur en scène consiste à trouver l'idée qui permettra, alors que la deuxième partie répète la première, divergeant seulement au moment de dire non, de rejouer malgré tout autre chose. Richard Brunel y réussit d’astucieuse façon : pendant qu'aux deux extrémités du plateau l'instituteur, le garçon et la mère rechantent les mêmes paroles sans exécuter le moindre geste, le regard du spectateur est attiré par les enfants placés au centre qui, déguisés en adultes, les imitent, qui avec des masques, qui avec des échasses. Inventif, le maître d’œuvre réussit en outre à atteindre l'équilibre entre la fable japonaise, évoquée par les tuniques colorées aux coupes orientales ou la scénographie à l'esthétique zen, et les procédés d'un théâtre de distanciation. Ainsi des ardoises noires en guise de panneaux, des apartés vers le public faits de façon vivante grâce à l'emploi de micros, des chœurs qui commentent l'action, répartis sur la scène et de part et d'autre du balcon.
En harmonie avec cette réalisation sobre, la musique de Weill se déploie simplement, bien servie par le piano inspiré de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Haute-Normandie. Le chef Oswald Sallaberger n'est jamais aussi convaincant que dans les scènes pathétiques, auxquels il insuffle une grande force expressive. C'est le cas notamment du passage Jeter dans la vallée où la Maîtrise de Seine-Maritime s'émeut des conséquences de la grande coutume. Par contraste, la voix du baryton Olivier Naveau (l'Instituteur), encore jeune, semble parfois manquer de sonorité, même si l'articulation est excellente. Le mezzo Estelle Kaïque (la Mère) n'est pas, quant à elle, complètement à l'aise dans cette partition qui ne met en valeur que son médium. Les enfants sont bien préparés et si, habituellement, on ne goûte pas beaucoup les opéras chantés dans une langue autre que l'originale, avouons que la version française sert davantage le propos didactique. On ne peut alors qu'espérer atteint le résultat ambitionné par Weill en écrivant cette œuvre : « apprendre quelque chose, en plus de la simple joie de faire de la musique ».
IS