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Chroniques
Der Kaiser von Atlantis | L’empereur d’Atlantis
opéra de Viktor Ullmann
Dans le cadre de sa saison tchèque et de son festival La résistance par les arts, l’Opéra de Dijon se penche sur une œuvre atypique du répertoire lyrique. On le sait, Der Kaiser von Atlantis fut écrit dans le camp de Terezín en 1943 par Viktor Ullmann sur un livret de František Petr Kien, dans le but d’une représentation en captivité qui finalement ne fut pas autorisée par les autorités allemandes. En 1944, les auteurs de cette farce digne d’Ödön von Horváth périrent tous deux à Auschwitz [lire nos chroniques du 10 janvier et du 30 avril 2006, du 26 novembre 2013 et du 24 janvier 2014]. Aux jeunes solistes de son Académie, la maison confie un ouvrage dont la facture légère danse sur un contenu et des circonstances particulièrement graves. À l’heure où, par une nauséeuse provocation politique, l’on débaptise une rue en l’honneur nostalgique d’une France coloniale – ce dimanche (15 mars), à Béziers, un grand rassemblement pied-noir célébrera l’officiel changement de nom, la veille, de la rue du 19 mars 1962 en rue du commandant Hélie Denoix de Saint Marc, selon une décision de Robert Ménard, élu d’extrême-droite bien connu pour ses prises de positions drastiques sur l’émigration, la peine de mort, la laïcité, le mariage pour tous, la torture, etc. –, il fait assister quelques jours plus tôt à un spectacle désignant sur le mode bouffon les dérives du pouvoir.
Dans une brume inquiétante nimbant une scène de blocs de béton gris, débris de bombardement ou stèles funéraires profanées, Benoît Lambert fait entrer tous les protagonistes, dans une sorte de lassitude qui déjà en dit long, en silence. Une sorte de clown d’Ensor présente son monde au public, lors d’un bref Prologue aux quatre tableaux de cet opéra en un acte. L’imparable dérision fait bientôt son chemin, véhiculé par le grimage opalescent des personnages, chef compris, hormis la Jeune fille et le Soldat, au naturel, que l’amour rend absents de la noire pantomime. Un plateau de bois est bientôt posé sur quelques-uns de ces blocs, tréteaux de commedia dell’arte où s’activent aussitôt Arlequin, la Mort, toujours sous l’annonce du semi-clown, en fait qualifié de Haut-parleur par le texte. En une heure, la Faucheuse aura signifié sa fatigue et son courroux, laissant l’empire envahi de ceux qu’elle ne tue plus mais qu’il continue d’exécuter, morts-vivants dont l’existence crie au monde entier l’inhumaine injustice du rôle-titre. Alors qu’il est devenu habituel, par péché de surinterprétation, de limiter l’impact de Kaiser von Atlantis, cette production atteint d’abord, dans le respect qu’elle vérifie de la déroutante frivolité de ton de l’œuvre et son usage des archétypes qu’elle convoque, une portée universelle. Aussi, quel dommage de projeter soudain des images d’actualité des années quarante ! La foule salue son Führer ici, là son Maréchal, quelques extraits de discours guerriers cantonnant alors le spectacle dans son contexte historique, par-delà l’idée courageuse d’élargir ledit contexte à la responsabilité du gouvernement français de collaboration dans la Shoah. Voilà qui coupe les ailes au formidable élan des premiers tableaux et vient plomber le dénouement quand sa relative légèreté aurait invité plus sûrement la réflexion et la conscience politique de notre aujourd’hui.
Sept jeunes voix se prêtent à l’aventure, plutôt qu’elles n’incarnent des personnages – seules des emblèmes traversent la scène, à la manière du guignol brechtien, emblèmes que porte plus loin la facture musicale tissée par Ullmann, éclairée par des emprunts à la culture populaire, au jazz, à la revue, mais encore au Lied, etc. Bref : la pantomime est aussi dans la fosse, une quinzaine d’instrumentistes cultivant un divertissement chambriste qui contraste avec l’épopée fatigué de l’emphase dramatique, sous la battue très lisible de Mihály Menelaos Zeke, jeune chef d’origine hongroise en poste à Vézelay (il succède à Pierre Cao à la tête d'Arsys Bourgogne). Sous le dessin naïf de la campagne ensoleillée, Yvonne Prentki rend aérien l’ensemble vocal du final (Jeune fille), l’onctuosité du chant de Benjamin Alunni est idéale en amoureux (Soldat), Antoine Chenuet claironne aimablement son aigu (Arlequin) aux côtés de l’émission robuste de Conrad Schmitz (La Mort), malheureusement un rien enroué sur la fin. Bravo à Jonathan Sells pour son Haut-parleur bien mené, qu’il chante ou qu’il déclame, et, surtout, au ferme Christian Backhaus, baryton avantageusement impacté qui, lui, incarne véritablement Overall, empereur qui, malgré toute attente, rencontre sa propre condition d’humain.
BB