Chroniques

par bertrand bolognesi

Der Ring des Nibelungen | L’anneau du Nibelung
festival scénique en trois journées avec prologue de Richard Wagner

Bayreuther Festspiele / Festspielhaus, Bayreuth
- 10, 11, 13 et 15 août 2022
Cet article dresse bilan du nouveau RING de Bayreuth 2022
© bayreuther festspiele | enrico nawrath

C’est avec un nécessaire recul de quelques semaines que nous revenons aujourd’hui sur la nouvelle production bayreuthienne du Ring par Valentin Schwarz. Sur la colline verte le public de l’été 2022 s’est vigoureusement exprimé à la fin des représentations de chacune des journées du cycle wagnérien. À l’issue d’un Rheingold au caractère impératif et alerte [lire notre chronique du 10 août 2022], de nombreuses huées ont retenti dès le baisser de rideau, clairement adressées à la mise en scène. Lors des saluts, après que les chanteurs ont été correctement accueillis, mis à part Egils Siliņš dont le Wotan semble n’avoir guère plu, voilà que Cornelius Meister récoltait à lui seul les grondements, sans que pareil mécontentement sût émousser son franc sourire. À l’inverse, Die Walküre était acclamée le lendemain, chef compris, la qualité musicale ayant balayé loin les aléas du spectacle – il est vrai que des quatre soirées, celle-ci demeura, d’une certaine manière, la moins tirée par les cheveux [lire notre chronique du 11 août 2022]. Avec Siegfried revenait l’exaspération de la salle [lire notre chronique du 13 août 2022], exaspération qui n’eut de cesse de croître pendant une Götterdämmerung assez lamentable, avouons-le [lire notre chronique du 15 août 2022]. Comme par une geste inversée, l’appréciation de Meister prit du galon, sa version enlevée, élégante, infiniment ciselée, ayant finalement convaincu, ce dont il faut se réjouir tant la proposition nous enchanta. Si le vibrato, certes conséquent, de la Brünnhilde d’Iréne Theorin se prit à chatouiller le goût de mélomanes cependant bien plus indulgent pour d’autres voix, l’expressivité inouïe de Tomasz Konieczny emportait les suffrages. Dans l’ensemble, l’expérience ne fut point mauvaise en ce qui concerne la musique – le principal, au fond.

Le principal, vraiment ? Wagner était-il indifférent au théâtre ? C’est précisément parce que tel n’est pas le cas qu’on ne peut fermer les yeux sur cette nouvelle production. Pour principe générateur, Schwarz a élu en modèle la série télévisée, relatant les affres d’une famille dont le destin se truffe, au fil des épisodes, d’alliances, de trahisons, de compromis, de vengeance e tutti quanti. À mi-chemin entre hommes et dieux, un clan de super-riches d’aujourd’hui, dont le parrain n’est autre que Wotan. Pourquoi pas ? Une plongée dans la vulgarité des comportements d’une telle caste est, dès lors, assumée ; elle signale les protagonistes dans leur nouvel équilibre relationnel. L’autre principe de ce Ring est de concentrée toute l’action en un seul lieu, villa contemporaine minutieusement scénographiée, vue selon des angles changeants. Seuls la cabane d’Hunding (Die Walküre, Acte I) et le repaire de Mime (Siegfried, Acte I) sont à l’extérieur de ce dévorant Walhalla. Quelle idée se trouve ainsi suggérée ? Que le chef tout puissant règne sur tout un monde qui, par ailleurs va s’effritant lentement mais sûrement, les deux autres lieux, misérables, étant les seuls où quelque résistance à l’ordre dominant pourrait s’organiser ?... peut-être… ou pas… Toujours est-il que le piscine où barbotent les Rheintöchter des premières mesures – elles n’y barbottent pas dans les ultimes, le bassin est asséché – fait partie du domaine, au même titre que la pyramide où la Walkyrie est maintenue sous cloche, sur les rochers, et que la grotte de Fafner puisque le dragon survit tant bien que mal sur un lit médicalisé dans le grand salon de Fricka. Parce les réponses aux questions ne sont jamais très intéressantes, nous cherchons quelles sont ces questions… sans trouver aucune réponse à cette question-là.

Effacer les signaux de la mythologie du Ring invite à inventer une nouvelle mythologie, en adéquation avec l’option générale de la mise en scène. Le prisme choisi induit ses déclinaisons spécifiques, comme ce revolver qu’on appelle Nothung. Le risque d’incohérence est grand, puisqu’il s’agira de forger l’épée au début de la deuxième journée. Là, Valentin Schwarz renonce : le revolver est abandonné au profit du glaive. Pourquoi ? N’était-il pas possible de pousser plus loin en réparant, par exemple, l’arme d’aujourd’hui, quitte à projeter sur un écran la confection d’une pièce de rechange, par exemple ? Non, le metteur en scène préfère reculer. Il s’était montré moins regardant avec d’autres détails, comme la grossesse de Sieglinde avant la rencontre avec Siegmund, un geste de Wotan indiquant qu’il est l’auteur de ce copieux enflement. L’embrouillamini familial se complique encore avec ce petit garçon colérique qu’est l’or du Rhin, peu à peu identifié comme Hagen. Les filles du Rhin gardent donc jalousement l’enfant Hagen lorsqu’Alberich, son père, vient batifoler avec elles ; et en renonçant à l’amour, le roi des Nibelungen capture son propre fils qui lui sera bientôt ravit par Loge, la sale môme voyageant de pattes en pattes jusqu’à… jusqu’à vivre chez Brünnhilde, en toute logique ! Eh bien, non, Hagen adulte n’est plus l’or auquel Waltraute ne parvient pas à faire renoncer la belle amoureuse. Si le maître d’œuvre renonce lui-même, pourquoi s’acharnerait-on ?

Certains détails font figure de trouvailles plus ou moins heureuses. Ainsi de la clinique de chirurgie esthétique où les walkyries sont faites plus jeunes que jamais et pour l’éternité. Ainsi des funérailles de Freia, par-delà le fait que morte elle ne distribuera plus les pommes d’or aux dieux qui, eux, ne sont pas admis en ladite clinique. Ainsi, toujours, de l’oiseau de la forêt, aide-soignante au service du reptile vieillard. Ainsi, encore, du pauvre Grane, véhicule qui porte Siegfried chez les Gibichungen : lorsqu’on voit l’immense photo-trophée sur laquelle Gunther, Hagen et Gutrune posent avec la dépouille du zèbre qu’ils viennent d’abattre, on comprend assez que le fidèle cheval n’y survivra pas et, de fait, le voilà bientôt qui revient écorché et prostré, tête bientôt coupée et trimballée dans un sac de plastique, d’abord par Gunther puis par Brünnhilde qui l’emportera dans la mort. Outre qu’il serait fastidieux d’énumérer toutes ces actions, il ne semble pas vraiment utile de le faire, vu qu’elles sont placées comme en dehors du propos, ou, pour être plus précis, hors d’un propos lui-même indéfini. Qu’avons-nous vu au Bayreuther Festspiele ?... Ah oui : une fort intéressante production de Tristan und Isolde, signée Roland Schwab [lire notre chronique du 12 août 2022], autour de laquelle nous avons entendu un fort beau Ring.

BB