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Chroniques
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss
Lorsqu’on s’apprête à voir un Chevalier à la rose, l’on ne saurait ignorer que la soirée se passera en compagnie d’un Strauss léger, farceur et irrévérencieux juste ce qu’il faut dans un théâtre circonscrit à un sourire diverti, comme se qualifie en général ce qu’il conviendrait de nommer plus justement distrait. Ici, la veine de Salomé, d’Elektra ou de Frau ohne Schatten n’a que faire. Pourtant, le savoir-faire de l’écriture vocale vient à maintes reprises racheter l’oisiveté du propos et, si la partition de fosse demeure moins inspirée, l’orchestration réservera tout de même quelques beaux passages.
Aussi, que se passe-t-il lorsque les trois premières voix ne sont pas au rendez-vous ?
On ne comprend décidément pas ce qui dicta les choix de distribution. Car, tant essentiel que soit le trio féminin de Rosenkavalier, c’est à des voix d’un format lilliputien qu’on le confiait ce soir. Le médium de Sophie est instable, acide son aigu, et le grave tient plus de la vue de l’esprit que d’une réalité vibratoire. Le phrasé d’Octavian est souvent malmené et guère compensé par un timbre plutôt terne. Enfin, pour précis, souple et infiniment nuancé que s’affirme le chant de la Maréchale, son bas-médium s’avère sans corps, la couleur générale limitée. Le lecteur comprendra aisément que le duetto des jeunes gens (Acte II) soit resté plus que lointain et que l’on put avoir le sentiment de déranger ou d’écouter aux portes devant la dernière scène de l’ouvrage. Pour clore ce chapitre, précisons qu’aucune de ces incarnations ne bénéficie d’une vraie présence dramatique, si bien qu’Octavian ne saurait être ici un jeune homme, que le jeu de Sophie se limite à une gentille collection de minauderies et que Bichette manque de charisme. Il est vrai que la production imaginée par Herbert Wernicke pour le Salzburge Festspiele en 1995 (présentée à l’Opéra national de Paris en 1997), avec sa valse scénographique de miroirs, n’aide aucun protagoniste.
Fort heureusement, il y a Ochs et tous les seconds rôles. Egal à lui-même, doté d’une présence scénique sans faille rompue à un grand métier, Franz Hawlata campe un baron efficace, parant dans une certaine urgence au plus pressé. Mais, à l’écouter en détail, en tâchant de faire abstraction de la sympathie qu’il inspire, on regrettera un grave un rien maigre, un aigu raide et un chant parfois paresseusement conduit. Olaf Bär assure un Faninal d’une belle tenue, Scott Wilde est un Commissaire fiable et généreusement projeté, Ales Briscein compose un Valzacchi frémissant qu’il transmet d’une voix facile, tandis que la partie du Chanteur (Acte I) est avantageusement servie par le timbre chaleureux et le chant souple de Tomislav Mužek qui déjà retenait toute notre attention en Narraboth de Salomé [lire notre chronique du 27 septembre], ici même. Côté dames, on gardera un bon souvenir de la Suivante de Michèle Lagrange et surtout de l’excellente Annina d’Helene Schneiderman.
Au pupitre, Philippe Jordan ouvre la représentation d’un élan fougueusement contrasté. Distillant au fil du spectacle une lecture cohérente dont il soigne chaque intervention, toujours au service de la dramaturgie, le jeune chef se trouve néanmoins contraint de retenir son enthousiasme par souci d’équilibre sonore entre la scène et la fosse (rendu problématique par les choix de distributions évoqués plus haut). Dans son interprétation savent poindre, malgré cela, une ferme vigueur, une dynamique sensible, une passionnante fluidité et, lorsqu’il le faut, une rondeur toute viennoise profitant largement de la suavité des cordes de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris.
BB