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Chroniques
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss
Après vingt-cinq ans d’absence, Der Rosenkavalier retrouve la scène marseillaise à travers une récente production de l’Opéra de Monte Carlo, signée Dieter Kaegi, avec la complicité de Bruno Schwengl pour des décors d’une sobre stylisation et des costumes suffisant à eux seuls à évoquer le siècle où l’action se déroule. Equilibre et efficacité définiront le mieux cette mise en scène qui se garde de trop souligner l’élément comique de l’œuvre, préférant s’attarder à une certaine profondeur – certes pas philosophique, ou alors de cette philosophie toutedomestique de Strauss – sans dérespecter sa férocité qu’elle révèlera par contraste. On n’en regrettera qu’une sensible faute de goût lors de l’air du ténor italien (Acte I), cédant à une facilité qui jure face à la tenue de l’ensemble, et quelques aléas surgissant dans un spectacle conçu sur un plateau plus vaste repris dans des proportions serrées, ce qui ne va jamais sans susciter quelques encombrements.
Rien qui ternisse, loin s’en faut, l’excellente invention d’un Léopold lunaire, sorte d’ahuri sympathique d’une formidable présence, frais espoir d’innocence dans cet univers qui ne sait que la feindre ou la violer. Démarche régulière à petits pas gauches, irrésistible hébétude, le valet muettement campé par Simon Gillet n’est pas loin de voler la vedette aux gosiers chanteurs ! Enfin, si la plupart des Rosenkavalier affiche un troisième acte d’une criante vulgarité, celui-ci lui accorde, par ses arbres colériques, sa statue vivante et toute une armada d’effets horrifiques, la farceuse poésie d’un curieux songe d’une nuit d’été.
Pour cette première dédiée par l’Opéra de Marseille à Edmée Santy, décédée quelques jours plus tôt (journaliste qui, depuis 1956, commentait passionnément la vie culturelle de la région), la distribution vocale se montre idéalement choisie : un sans-faute où chacun sert son rôle en le caractérisant le plus naturellement qui soit.
Côté dames, Anne-Marguerite Werster donne une Marianne grand format, de même que Sophie Pondjiclis offre à l’espionne Annina couleur, puissance et agilité. La Croate Margareta Klobučar livre une Sophie au timbre opulent, un rien métallique, parfois, qui laisse présager de futures grandes incarnations dépassant largement le cadre dit mozartien de ce rôle ; bref, rien d’une voix légère. Nous retrouvons avec un plaisir inchangé Gabriele Fontana dans une Maréchale de grande classe : riche couleur, suavité de l’émission, ligne vocale magnifique ; tout en disposant de moyens luxueux, l’artiste ose des moments quasi Lied d’une délicatesse remarquable, un chant toujours précisément nuancé doté d’un évident charisme.
Nulle ombre côté messieurs. On saluera le Commissaire avantageusement impacté d’Erick Freulon, la remarquable clarté d’Avi Klemberg en Chanteur italien, la perfection de style du Valzacchi d’Olivier Ringelhan et la tendresse de timbre de Lionel Lhote en Faninal. Fermement timbré, comme il se doit, Manfred Hemm offre un Baron Ochs sans faille au grave solide, épiçant le personnage de juste ce qu’il faut de vulgarité sans la trop appuyer. Enfin, Kate Aldrich prête au rôle titre une franche homogénéité vocale, propre à évoquer le jeune homme tout en rendant plus trouble la convention du travestissement sur laquelle repose en partie l’intrigue. Son Octavian ravit, tout simplement.
Sous la battue de Philippe Auguin – qui, semble-t-il, a choisi de ne pas jouer avec tout l’orchestre de Strauss dont il adapte ingénieusement les excès à la salle sans pour autant réduire la partition à proprement parler -, la fosse se montre alerte, fluide, nerveuse, dès les premiers pas. Certes, des cordes plus tendres ne fâcheraient pas l’écoute, ce qui n’empêche un final de premier acte assez délicatement chambriste. Indéniablement, l’Orchestre de l’Opéra de Marseille est en progrès constant.
BB