Chroniques

par bertrand bolognesi

deux créations par l’Orchestre Lamoureux
Ciel d’hiver de Kaija Saariaho, Spinoza in Cuczo de Thierry Pécou

Grand Prix Lycéen des Compositeurs / Théâtre du Châtelet, Paris
- 7 avril 2014
création de Ciel d'hiver, une nouvelle œuvre de Kaija Saariaho
© heidi piiroinen

Comme chaque année, une poignée de compositeurs préalablement « nominés », dont l’œuvre fit l’objet d’une parution discographique dans les mois précédents, a sillonné nos régions et ses lycées afin d’apporter la bonne parole aux jeunes gens. Ce concert du Grand Prix Lycéen des Compositeurs voit naturellement la création d’une nouvelle pièce commandée au lauréat 2013, selon la charte convenue, qui sonnera sous la protection du répertoire français d’autrefois. Encore voit-on ce soir une seconde création, également commandée par Musique nouvelle en liberté et la Ville de Paris. Notons au passage que le prix 2014 est attribué à Éric Tanguy, ce qui inquiète quant aux oreilles d’aujourd’hui dont il semblerait qu’elles élisent la faconde d’avant-hier. Les goûts et les couleurs…

L’alternance de musique ancienne et de création devait-elle nécessairement se vérifier par ce que notre patrimoine offre de moins riche, voire de plus sot et mal fagoté ? Trois pages extraites de l’assez mièvre Namouna d’Édouard Lalo (1882) font la passerelle, quand d’autres, tirées de la Gaité parisienne de Manuel Rosenthal (1938), pot-pourri de plusieurs œuvrettes signées Jacques Offenbach, viennent achever la soirée dans leur absolue vulgarité. Encore fallait-il confier au « Théâtre musical de Paris », puisqu’ainsi se désigne celui du Châtelet, le soin de mâtiner ces exécutions aux dignes soli des rames métropolitaines vrombissant sous nos pieds toutes les cent cinquante secondes. Les goûts et les couleurs…

Deux créations, disions-nous. À partir du mouvement central d’Orion (2003), Kaija Saariaho a imaginé une nouvelle pièce à laquelle elle a laissé le même titre, Ciel d’hiver. On en goûte la fine subtilité des timbres, les accords énigmatiques où se dessine un motif élégiaque de piccolo qui bientôt envahit les pupitres. L’œuvre avance en un crescendo très progressif qui conjugue dynamique et rythme dans un même geste. Par-delà le peu d’aptitude de la formation ici convoquée, on perçoit encore la ciselure des deux instruments-fétiche de la compositrice, la flûte et le violoncelle, dont crotales et cloche de verre viennent délicatement rehausser la saveur. Mais l’Orchestre Lamoureux, animé par Fayçal Karoui, possède ni la profondeur ni la précision requises pour servir au mieux cette musique.

À l’instar d’un Feldman (String Quartet and Orchestra, 1973), Thierry Pécou a écrit pour quatuor à cordes et orchestre son nouvel opus, dans l’esprit du concerto – ici les Debussy. À la faveur d’un séjour au Titicaca (Pérou et Bolivie) durant lequel « je lisais Robert Misrahi sur Spinoza », il a imaginé une rencontre entre le philosophe et la civilisation inca du XVIe siècle : Spinoza in Cuczo. Après un bref introit du quatuor solistique en manière de frottement de vitres, puis une péroraison lyrique, s’installe un ostinato obsédant. Bientôt le recours à des motifs répétés, à peine mis en relief par une section désertique qui explore les sifflements initiaux, endort l’écoute. Une sorte de cadenza du quatuor vient bavarder, avant une scansion attendue où point ce diable duquel Spinoza put rire, dans un clin d’œil tout stravinskien. Le final est une horreur de carnaval – indigeste.

Amener la musique dite « contemporaine » aux lycéens n’est certes pas une mauvaise initiative. Mais dans quelles conditions, par quels interprètes, enfin quelle musique semblent être les questions dont on aimerait qu’elles préoccupent plus les décideurs de cette entreprise.

BB