Chroniques

par david verdier

deux moments musicaux avec Diego Tosi
avec Denis Pascal, Jean-Frédéric Neuburger et le Quatuor Modigliani

Auditorium du Louvre, Paris
- 3 et 4 mars 2011
Le jeune violoniste Diego Tosi
© dr

Il n'est pas si fréquent de lire le nom de Diego Tosi parmi les interprètes de Camille Saint-Saëns ou d’Ernest Chausson. Le jeune violoniste de l'Ensemble Intercontemporain, arrivé en 2006 en remplacement d'Ashot Sarkissjan, n'en est pas à sa première incursion dans ce répertoire. De la musique de chambre à celle dite « de salon », il n'y a pas loin… mais Diego Tosi se garde pour autant de tremper son archet dans le miel et de limiter ces opus à des pièces de genre.

Pour le premier des deux concerts donnés dans la cadre des Concerts du jeudi, c'est l'excellent Denis Pascal qui l'accompagnait au piano. Les Elégies, respectivement composées en 1915 (Op.143) et 1919 (Op.160), se bornent à d'aimables dialogues feutrés entre les deux instrumentistes. Rien ne vient troubler ici la quiétude de ce moment musical (et de digestion, pour une partie non négligeable du public de l'Auditorium). Rendons hommage à Diego Tosi d'avoir glissé une référence contemporaine : Irisations de la compositrice Edith Canat de Chizy (pièce de concours composée en 1999). Cet enchaînement d'atmosphères variées permet d'apprécier l'étendue des modes de jeu de l'instrument : récitatifs chuchotés, gammes ascendantes en doubles cordes, polyphonie de pizzicati et trilles-glissandi très lyriques – quoique un peu extérieurs sur la durée. L'allusion au « faisceau lumineux diffracté en multiples facettes suivant l’opacité ou la transparence des objets rencontrés » semble moins évidente que les citations répétées à la Tzigane de Ravel ou à la Sonate pour violon seul de Bartók.

La Sonate en ré mineur Op.75 n°1 (1885) est – heureusement – d'une tout autre ampleur que les modestes Elégies du début. Le modèle de la Sonate à Kreuzer, affirmé et récusé, sert ici de couleur expressive à l'ensemble de l'œuvre, tandis que la structure s'apparente, elle, à la Symphonie avec orgue [1], surtout par rapport au troisième thème. Le violon cherche ses marques dans l'inquiétante alternance initiale 6|8 et 9|8, largement dominé par le piano quasi liquide et un brin trop sonore. Ce déséquilibre dynamique perturbe l'émergence de la fameuse petite phrase de Vinteuil, moins irradiante que dans le souvenir littéraire qu'en donne Marcel Proust, mais il est vrai que nous ne parlons ici que d'un modèle potentiel parmi tant d'autres. Le Scherzo du deuxième mouvement sonne sous les doigts de Diego Tosi comme un avant-goût du Sarasate à venir. C'est sobrement joué, distingué et jamais salonard dans le mauvais sens du terme. Pour les bis, on fermera les yeux sur l’arrangement par Pablo de Sarasate du Nocturne Op.9 n°2 de Chopin et sur sa Mélodie roumaine ; l'atavisme catalan ne peut suffire à expliquer le goût du violoniste pour un compositeur dont il poursuit par ailleurs une intégrale discographique chez Solstice.

Le lendemain, toujours à l’Auditorium du Louvre, Denis Pascal cède la place au jeune Jean-Frédéric Neuburger et au Quatuor Modigliani dans le Concert de Chausson, précédé du très debussyste Quatuor en fa majeur Op.35 de Maurice Ravel. Quelques flottements, notamment les unissons violon-alto dans le premier mouvement, altèrent la justesse générale de l'interprétation au début du Quatuor. L'équilibre est maintenu juste avant la réexposition et la coda, mais au prix d'une relative froideur. L'indication Assez vif, très rythmé du deuxième mouvement est prise au pied de la lettre, avec le risque, périlleux, de créer plusieurs décalage lors des entrées. Les pizzicati appuyés renforcent le caractère assez métronomique de l'ensemble. Dans le troisième mouvement, les Modigliani trouvent enfin le ton juste et une conduite harmonique appropriée à l'expressivité de la pièce. On en regretterait presque de devoir retourner au climat quasi-motorique du final, que les jeunes instrumentistes exécutent pourtant avec une précision confondante.

Le Concert en ré majeur pour piano, violon et quatuor à cordes Op.21 d'Ernest Chausson fait partie des pièces à la fois les plus renommées et paradoxalement les moins jouées du répertoire français. Lointain héritage des Concerts de Couperin pour la référence onomastique et l'écho reformulé du Quintette de César Franck, l’œuvre se distingue du paysage fauréen en inventant une forme inventive très personnelle. Les trois accords initiaux donnent le ton de cette interprétation, à la fois marquée par l'enthousiasme des interprètes et une relative tendance à ne pas sentimentaliser l'expression. On admire tel ou tel détails, comme les dessins répétitifs du piano, l'intensité des notes tenues au violon, les montées chromatiques du quatuor… mais l'ensemble a du mal à se fondre et à proposer un élan charismatique. L'accélération du tempo dans le Très animé mouvement final met à mal l'unité interprétative, comme mise à distance par l'unique recherche de la mise en place.

DV

  1. Camille Saint-Saëns : Symphonie en ut mineur Op.78 n°3, dite « avec orgue » (1885-86)