• da camera

Depuis trois ans le festival Piano Passion invite le public stéphanois à rencontrer l'œuvre d'un compositeur emblématique de l'instrument à lui donner son titre. Sa nouvelle édition fête Sergueï Rachmaninov, l'occasion d'entendre des pianistes russes, comme Tatiana Smelova, Alexeï Nabiouline, Sergueï Paskievtich et – sans lui, cette programmation paraîtra presque orpheline ! – Nikolaï Lugansky. D'autres artistes s’expriment durant ces cinq journées : Florence Cioccolani, Kazuko Hiyama, Reiko Hozu, Miaomiao Li et la très jeune Anna Buchberger (lauréate du Concours d'Ettingen 2004) à qui fut confié le concert d’ouverture.

Mercredi soir, nous entendons deux des récitals à L'Esplanade. Pour commencer, Valentina Igoshina. C'est d'une sonorité élégante et claire qu'elle ouvre la soirée par les Moments musicaux Op.16, dont le premier (Andantino en si bémol mineur) n’est cependant guère avantagé par une articulation assez scolaire, en contradiction avec une dynamique intelligemment mobile. Elle parfume le plus fluide Allegretto en mi bémol mineur d'une aura impressionniste bienvenue, tandis que l’Andante cantabile en si mineur la révèle grande contemplative qui porte loin la respiration. De fait, le suivant (Presto en mi mineur) convainc peu, alors que le cinquième (Adagio sostenuto en ré bémol majeur) affirme une grande délicatesse du toucher au service d'une interprétation subtilement intériorisée.

Valentina Igoshina présente ensuite deux extraits de l'opus 23 qui lui réussissent mieux, notamment le Prélude n°2 en si bémol majeur (Maestoso) dont avec pudeur elle entretenir la douloureuse lassitude. Le Prélude en si mineur Op.32 n°10 (Lento) bénéficie d'un raffinement comparable, sans pour autant qu’en soit rendue « nécessaire » l'expression. Enfin, sa lecture de la Sonate en si bémol mineur Op.36 n°2 demeure en deçà, truffée d'approximations et de maladresses, avec cependant un mouvement médian qui offre les belles qualités à l’œuvre dans toutes les pièces lentes de ce menu.

Dès l'exposition de la folia qui généra les brillantes Variations Corelli Op.42 à Rachmaninov, Katia Skanavi happe l'attention. Dès lors le public sait avoir à faire à une personnalité dévorante qui non seulement construit un son d'une infinie richesse, mais élève vers des hauteurs saisissantes son jeu et l'écoute qu'on en peut avoir. C'est une histoire qu'elle parvient à raconter tout au long de ces variations auxquelles elle donne relief et couleurs, dans une sonorité volontiers orchestrée. Nous l'écoutons ensuite dans quelques-unes des Études-tableaux Op.39 : la première (Allegro non troppo en fa mineur) dont elle souligne la fulgurance tout en l'inscrivant dans la même exigence de profondeur, la suivante (Allegro en ut majeur) dont chaque motif est superbement différencié, la troisième (Grave en ut mineur) avec laquelle elle se précipite sans ménagement dans la tourmente. Elle murit d’un rayon de lune la quatrième (Moderato en ré mineur), s'engage directement dans la redoutable cinquième dont elle cisèle les modulations (Non allegro en mi bémol mineur), pour finir en distribuant expressivité, suspens et dramatisme à la sixième, Allegro con fuoco en mi bémol majeur qui laisse soupçonner une grande violence contenue.

Captivante, Katia Skanavi met un toucher multiple, une pédalisation suprêmement intelligente, bref, une technique excellente au service de la musique qu'elle nourrit d'un souffle inépuisable. Ovationnée comme d’une seule voix, elle revient pour cinq bis, soit deux pièces de Rachmaninov où la jubilation d'une magnifique volée de cloches succède à un art remarquable du paysage, un Nocturne de Chopin, exquisément moelleux, un petit Prélude du même, à peine chantonné, et enfin une Mazurka plus conséquente pour un adieu généreusement différé.

BB