Chroniques

par bertrand bolognesi

Deuxième Concerto de Saint-Saëns par Alexandre Kantorow
Nicholas Collon dirige l’Orchestre national de France

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 30 septembre 2021
Nicholas Collon et l’Orchestre national de France : Elgar, Berlioz, Saint-Saëns
© jim hinson

Trois semaines après avoir ouvert sa nouvelle saison avec le Concerto pour violon en si mineur Op.61 n°3 de Camille Saint-Saëns [lire notre chronique du 10 septembre 2021], l’Orchestre national de France poursuit son investigation de l’œuvre du compositeur français dont on célèbre cette année le centenaire de la disparition, en programmant son Deuxième Concerto pour piano. Mais avant cela, le jeune chef britannique Nicholas Collon [photo], apprécié ici-même dans une soirée de création, il y a trois ans [lire notre chronique du 14 février 2019], joue Le Corsaire Op.21 conçu par Hector Berlioz entre 1844 et 1852, la dernière de ses cinq ouvertures de concert. Outre l’extrême précision des pupitres de la formation radiophonique, indéniablement en fort bonne santé, il faut admirer la grande et belle énergie insufflée par Collon à cette lecture tour à tour incisive, gentiment posée et totalement espiègle, parfois un brin pompière. Par un fin travail de la nuance, il en révèle la souple sveltesse.

Devant le clavier du grand Steinway, l’on retrouve Alexandre Kantorow dont notre équipe ne tarda guère à saluer le talent [lire notre critique du CD Chevillard-Fauré-Gedalge et notre chronique du 25 juillet 2016]. Après avoir été salué d’une Victoire de la musique pour son enregistrement des trois derniers concerti pour piano de Saint-Saëns, quelques semaines avant le premier confinement national de 2020, le jeune musicien (vingt-quatre) s’attelle ici au Concerto en sol mineur Op.22 n°2 de 1868. La puissance qu’il dévoue à l’entrée en solo, sorte de toccata organistique d’allure improvisée, introduit magistralement l’Andante sostenuto au romantisme appuyé. D’innombrables rubati viennent toutefois découdre la sévérité du geste dans des tendretés sinon confites du moins lissées. Le motif initial vient conclure ce premier chapitre comme en noble profil penché – on songe à La musique russe, la toile d’Ensor (1881), à son jeune homme absorbé par le son d’un instrument joué en arrière-plan par une dame, dans une pénombre ornementale. Passé les finasseries liminaires de l’Allegro scherzando survient une danse plus musclée, qui ne dure pas, l’artiste donnant un lustre louable à ce savoureux keepsake, dans une sonorité sainement clarteuse. Galop impressionnant, tapant du pied avant de s’élancer en de virtuoses rodomontades, le Presto gagne ce soir une variété de nuances propre à le magnifier tout en dessinant, sous les rebonds pianistiques, une mélopée parfois austère.

Fort d’un succès bien mérité, Alexandre Kantorow donne deux bis fort différents. D’abord le final de L’oiseau de feu de Stravinsky (dans l’arrangement réalisé par Guido Agosti) où il fait preuve d’un jeu infiniment coloré, puis le Sonnet 104 de Pétrarque de Liszt, dans une ciselure subtilement délicate et un lyrisme des plus sensibles. Artiste en résidence de la saison de Radio France, le pianiste sera de retour sur cette scène jeudi prochain pour y interpréter le Concerto en fa majeur Op.103 n°5 « L’Égyptien » de Saint-Saëns (1895), sous la direction de Kazuki Yamada.

Nous serait-il donné d’entendre la musique d’Edward Elgar si les chefs britanniques ne passaient pas de temps à autres par le continent ? La question ne relève ni de l’exagération ni de la médisance si l’on observe la parcimonie avec laquelle nos orchestres, nos solistes et nos chambristes jouent l’œuvre du fameux Anglais [lire nos chroniques du 9 décembre 2003, du 14 avril 2010 et du 20 juillet 2011 ; puis celles, européennes, du 22 septembre 2005, du 21 juillet 2019 et du 23 février 2020] – heureusement, Daniel Harding n’hésita pas à servir à Paris l’oratorio The dream of Gerontius [lire notre chronique du 21 décembre 2017]. À Manchester le 3 décembre 1908, Hans Richter dirige le Hallé Orchestra dans la venue au monde de la Symphonie en la bémol majeur Op.55 n°1 (1907) d’Elgar qui d’emblée remporte un franc succès, tant auprès de l’auditoire que de la critique. L’œuvre est bientôt donnée aux États-Unis sous la battue de Walter Damrosch ; c’est un triomphe. Puis Ferdinand Löwe la joue à Vienne, Arthur Nikisch à Leipzig, Alexander Siloti à Saint-Pétersbourg, et ainsi de suite, sans démentir son immédiate popularité.

La solennité de l’Andante (nobilmente e semplice) s’épanche progressivement, sans déroger à une rigoureuse régularité, dans l’approche de Nicholas Collon qui le mène vers l’Allegro facétieux, d’un élan wagnérien. La marche initiale fait toute la symphonie, au fond, puisque les thèmes principaux des autres mouvements en sont tous dérivés. La raréfaction instrumentale progressive de sa reprise cyclique affirme une exquise délicatesse de conception qui n’échappe pas au chef. Plus que Brahms duquel on la rapproche souvent, cette musique s’apparente, pour le deuxième mouvement (Allegro molto), à Tchaïkovski. Saluons au passage la tendresse inouïe du jeu de Luc Héry (premier violon solo), idéale dans ce répertoire. Sans étirement superfétatoire, Collon révèle les délices ambrées de l’Adagio, minutieusement patiné au doroir. Avec la complicité des bois, il pose ensuite les énigmes de l’ultime épisode, Lento traversé par la solennité originelle de l’œuvre, interrompu par un de ces vigoureux Allegro de cordes dont Elgar avait le secret.

BB