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Chroniques
Dialogues des carmélites
opéra de Francis Poulenc
N’arrivant pas à donner corps à un projet de ballet pour la Scala de Milan – il songe à un sujet mi-profane mi-sacré sur Sainte Marguerite de Cortone, fondatrice d’une communauté de femmes au XIIIe siècle –, Francis Poulenc se voit proposer d’adapter Bernanos par son commanditaire, directeur des Éditions Ricordi. S’il a refusé en son temps une collaboration avec Claudel, Poulenc se rend à l’évidence de cette proposition – « Sa conception spirituelle est exactement la mienne et sa violence répond parfaitement à un côté total de ma nature, qu’il s’agisse du divertissement ou de l’ascèse ». Parce qu’il était discret sur sa vie privée, peu connaissent l’état d’esprit de Poulenc au moment de la composition de Dialogues des carmélites (d’août 1953 à juin 1956). Outre les soucis de droits résolus en février 1955, les déboires sentimentaux du musicien avec Lucien Roubert le plongent dans la dépression (arrêt de la tournée avec Bernac fin 54, cure de repos, etc.). Ce même mois de février, un cancer est diagnostiqué chez son amant, que Poulenc accompagnera jusqu’à sa mort, en octobre 1955.
Après le Tour d’écrou, sa première mise en scène, Éric Pérez montait l’opéra en trois actes de Poulenc en février 2005, à Dijon. C’est peu dire que cette production, à l’épure bressonienne avouée, résiste à la reprise. Outre des parois de pierre sombre omniprésentes (genre ardoise, sinon stèle de marbre), l’eau y joue un rôle important : « tout en symbolisant la puissance, explique celui qui proposera bientôt Onéguine dans cette même maison, elle crée des reflets tremblants et troubles, à l’image d’un monde intérieur mouvant et plein d’incertitudes ». Constance se joue de la peur en pataugeant dans le bassin central, tandis que le lit d’une Prieure terrifiée y repose, isolé de tout contact humain. Glaçant, le final n’élude pas la question du sang comme tant de versions vues ces dernières années – la pire étant celle de Tcherniakov qui escamote jusqu’à la guillotine [lire notre critique du DVD] –, mais conserve la blanche virginité de ces servantes mariées.
À l’instar de Sylvie Brunet, familière du rôle de Madame de Croissy [lire nos chroniques du 6 février 2005 et du 27 novembre 2009], la distribution offre de solides interprètes. Karen Vourc’h (Blanche) combine à souhait réserve aristocratique et fragilité, usant d’un soprano limpide et évident, en osmose avec celui de Pauline Courtin (Constance), tout de chaleur, rondeur et velours. Si Géraldine Chauvet (Mère Marie) prend un certain temps à gagner en ampleur, Isabelle Cals offre immédiatement les qualités d’un chant souple et corsé qui confère une douce autorité, idéale à Madame Lidoine. Isabelle Guillaume se charge efficacement d’incarner Mère Jeanne.
Côté masculin, voix caverneuse, vibrato ou instabilité apportent les désagréments liées aux tessitures gagnant de l’âge, mais la basse Philippe Kahn compose un Marquis affectueux, tandis que Léonard Pezzino (Aumonier) conserve son onctuosité. Habillé d’un rouge jurant avec l’univers du Carmel, Sébastien Droy (Chevalier) possède une tendresse un peu sèche, un timbre piquant. Les deux commissaires livrent un contraste assuré par Julien Dran, caressant et délicat, et Philippe Fourcade, plus imposant. Enfin, c’est un Christophe Lacassagne particulièrement sonore et stable qui incarne les petits rôles (Thierry, Javelinot, Officier).
Outre le chœur Variatio et les chœurs supplémentaires de l’Opéra de Massy préparés par Jean-Marie Puissant, il faut encore féliciter Yoel Levi pour sa direction d’une moelleuse tonicité qui profite des pupitres réactifs et précis de l’Orchestre National d’Île-de-France (les cuivres, notamment, les bois, etc.). Bref, une belle équipe qui méritait son ovation au terme des douze tableaux.
LB