Chroniques

par michel slama

Dialogues des carmélites
opéra de Francis Poulenc

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 9 novembre 2004
Dialogues des carmélites (Poulenc) à l'Opéra Bastille (photo Éric Mahoudeau)
© éric mahoudeau

Morne et décevante reprise des Dialogues des carmélites déjà proposés en novembre 1999 au Palais Garnier. La très oubliable production de Francesca Zambello ne gagne rien à se téléporter à Bastille, bien au contraire. Le public ne s'y trompe pas : la salle, loin d'être pleine lorsque retentissent les premières mesures, perd plus de la moitié de ses spectateurs après l'entracte. La laideur des décors (cylindres de bétons gris qui ne cessent de tourner, pour rien) n'en est que plus mise en évidence. Seuls les costumes d'époque, tout à fait traditionnels, donnent un peu de vie et de couleur à cette sinistre réalisation. Les chanteurs, qui se doivent d'être d'excellents acteurs et diseurs, sont livrés à eux-mêmes. Le mélomane devra donc s'en remettre au talent dramatique de l'équipe réunie pour la circonstance.

Pour « meubler » certaines scènes un peu longues et pourtant stratégiques, l'Américaine n'hésite pas à ajouter quelques carmélites non prévues, censées représenter la censure ou la morale. Que dire enfin de sa vision caricaturale du peuple révolutionnaire parisien, hystérique, agressif et sanguinaire, qui va jusqu'à menacer un public… presque assoupi ? C'est du mauvais Zambello… bien supportable cependant si on le compare à ce qui nous attend avec l'inadmissible reprise du Trovatore de la saison dernière, programmée le mois prochain !

Demeure donc la musique pour sauver cette reprise du désastre.
Côté chef, Kent Nagano, même s'il dirige la partition de façon dynamique et engagée, ne peut faire oublier un Seiji Ozawa en état de grâce en 1999. À l'époque, la scène finale et son Salve Regina tout particulièrement avait ému aux larmes le public de Garnier. Il est vrai que les grandes phrases lyriques de la partition de Poulenc ont tendance à se noyer dans le vaste vaisseau qu'est Bastille et que les pupitres de l'Orchestre maison semblent étrangers à l’œuvre. De plus, le chef n'a pas pris la mesure de l'équilibre sonore entre fosse et scène, accusant donc une fâcheuse tendance à couvrir les voix, déjà limites et peu à l'aise. Nous voilà loin de ce que voulait le compositeur pour lequel la compréhension du texte de Bernanos était indispensable – à l'image de Debussy pour Pelléas et Mélisande : « le but est de faire entendre le texte avant toute chose, mais de le faire entendre en musique… L'orchestration doit être très claire pour laisser passer le texte ».

À ce propos, que dire de l'absurde distribution de la grande Anja Silja dans le rôle-clé de Mère Marie ? Au seuil de la retraite, qu'espère donc gagner le soprano allemand dans cette aventure ? Sans doute pas cette bordée de huées qui l’accueille à la fin de la représentation. Il est vrai que désormais en lambeaux la voix est réduite à des notes hurlées et que la prononciation du français est plus qu'approximative. Ayant régulièrement recours à l'improvisation, elle ne connaît visiblement pas le texte et les surtitres ne font qu'accuser ses problèmes de diction. C'est mince pour pareil rôle où se sont illustrées Martine Dupuy, Rita Gorr, entre autres.

Le cas de Dawn Upshaw est plus complexe.
On pouvait espérer qu'accompagnée par son chef favori, le miracle aurait lieu… Hélas ! Visiblement préoccupée par la prononciation et l'articulation laborieuse du texte, et en l'absence de metteur en scène, le soprano américain minaude, mi-godiche mi-grande-dame, et oublie de jouer. On est loin des Blanche de la Force d'exception, des héroïnes torturées, à la limite de la folie, campée par des Denise Duval, créatrice du rôle et l'égérie du compositeur ou, plus près de nous, Catherine Dubosc et Anne Sophie Schmidt. De plus, la voix est prématurément usée : à présent, la ligne de chant est hachée et le timbre franchement laid.

Restent, heureusement, plusieurs prestations exceptionnelles saluées par le public. Déjà titulaire du rôle en 1999, Felicity Palmer compose une fascinante Première Prieure dont l'agonie restera à jamais dans nos mémoires. Dotée d'une diction exceptionnelle, le grand mezzo britannique, méconnu en France, possède un répertoire très large, allant de Händel à Wagner, sans négliger la musique contemporaine. Elle a chanté sur les plus grandes scènes du monde, accompagnée par les chefs les plus grands. Au disque, ses interprétations de Debussy, Poulenc et Messiaen sont exceptionnelles. Patricia Petibon livre une Sœur Constance inoubliable. Fort à l'aise vocalement, sensible et spontanée, touchante par sa naïveté, elle semble reproduire intelligemment les directives qu’en 1999 Marthe Keller lui donnaient pour les représentations de l'Opéra national du Rhin. Son engagement provoque une ovation.

Belle prestation d'Eva-Maria Westbroek en Seconde Prieure, soprano hollandais à la présence altière et noble [lire notre chronique du 18 avril 2004]. Une bonne prononciation du français et une voix en pleine santé lui permettent de composer une émouvante et crédible Madame Lidoine, quoique pas assez plébéienne. C’est en Mère Marie qu’elle a débuté dans son pays natal : quel dommage qu’on ne l’ait ici distribuée dans ce rôle où ses atouts eussent fait merveille ! Côté messieurs, on reste déçu par les vétérans Alain Vernhes et Michel Sénéchal, excellents comédiens et diseurs, mais aux graves difficiles et sourds pour le premier, aux trop nombreuses notes muettes pour le second. Grand plaisir, en revanche, à retrouver en Yann Beuron (Chevalier) un exceptionnel jeune talent français, aussi bon acteur que chanteur.

MS