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Chroniques
Dialogues des carmélites
opéra de Francis Poulenc
Treize ans après sa première milanaise, Dialogues des carmélites, l'opéra de Francis Poulenc, gagnait la scène toulousaine. En 1995, Hubert Monloup pour la scénographie et Nicolas Joel pour la mise en scène signaient une nouvelle production, donnée alors à la Halle aux grains, puisque cette saison-là se faisait hors les murs… tout comme la présente ! C'est donc une production tout exprès conçue pour le lieu que nous voyons ce soir, non plus confiée à la baguette de Michel Plasson mais à celle de Patrick Davin.
Malheureusement, osera-t-on dire…
Dans sa lecture marseillaise de l'œuvre [lire notre chronique du 14 novembre 2006], on relevait le peu de compréhension rythmique et thématique régissant la direction de ce chef. Aujourd'hui, son approche, qui a muri une conception plus proche du compositeur, tombe dans d'autres écueils. Pourquoi ralentir autant certaines phrases – et Poulenc qui écrivit détester tout rubato… –, ce qui nécessite des efforts vocaux que ne justifient ni l'impératif musical ni la cohérence dramatique ? Pourquoi tant accuser l'accentuation et, de ce fait, couvrir à plusieurs reprises les chanteurs (l'on en perd malencontreusement les graves des soprani) ? Livrer si clairement de nombreux détails de la partition qui, la plupart du temps, sont laissés pour compte (notamment les parties de percussion, tellement importantes pour évoquer le climat révolutionnaire), est plus que louable. Pourtant, l'on ne profite pas assez des possibilités de couleur des bois – si chers à Poulenc, en grand adorateur de Mozart qu’il était.
Ces désagréments de fosse, qui n'incriminent en rien le beau travail des musiciens de l'Orchestre national du Capitole, ne suffisent pas à ternir une soirée traversée par l'émotion, grâce à une production qui fonctionne sans encombre –saluons la précision de la réalisation de Stéphane Roche pour cette reprise réussie – et, surtout, à un plateau vocal exceptionnel et fort investi théâtralement.
Dans un décor relativement neutre, même si les arcs tendus de ses voûtes annoncent dès l'abord la terrible Louisette finale, sont juste esquissés les différents lieux de l'action, partant que la grande succession de tableaux ne laisse rien s'installer jamais. Cette ronde qui va se précipitant jusqu'au couperet s'engage depuis le noir d’arcades que l'on traverse comme l'on passe de vie à trépas, avantageant certains effets par l'emploi d'une lumière soigneusement choisie – Allain Vincent –, le plus impressionnant demeurant l'exécution de l'An II 29 messidor (comprendre 17 juillet 1794) en Place du Trône-Renversé (autrement dite Place de la Nation, à Paris), l'effacement de la crudité blanche d'une lueur poussée à son comble par la bruyante porte lâchée qui génialement résume le poids du mouton fracassant seize nuques condamnées : « Dieu s'est fait lui-même une ombre », disait la Prieure, épargnée des buveurs de sang par une agonie difficile. Rarement comme ici s'impose la nécessité du très controversé vœux de martyre – plus exactement « vœu de consécration totale à la Volonté Divine pour obtenir la fin des massacres et la paix pour l'Église et l'État ».
Il n'est pas fréquent de goûter une qualité vocale comme celle offerte ici. Outre une distribution masculine sans problème, où l'on applaudit Léonard Pezzino – Aumônier de toutes les scènes, depuis plusieurs années, qui connaît l'ouvrage pour s'y être d'abord confronté dans le rôle du Chevalier, il y a près de trente ans –, Christophe Mortagne qui livre un Commissaire au timbre clair et solidement projeté, Nicolas Cavallier en Marquis de la Force, ne mésusant jamais de facilités vocales, enfin Gilles Ragon qui livre un Chevalier intelligemment nuancé, on remarque six voix campant parfaitement leur rôle. L’excellence de la diction n'est pas négligeable lorsqu'il s'agit du texte de Bernanos.
Si nous nous permettons une légère réserve quant à Susanne Resmark, Mère Marie disposant d'étonnants moyens, d'une grande santé vocale, d'une vaillance médusante, mais vraisemblablement d'un gros trac de première qui lui fait forcer systématiquement le trait, tant dans le jeu que dans le chant, on ne saura que féliciter les cinq autres. Ainsi de Qiu Lin Zhang, Mère Jeanne plus présente que de coutume avec une phonation confortablement ronde, une émission toujours posée, de la vive Constance aux aigus faciles d'Anne-Catherine Gillet et de la Blanche élégamment menée, d'une voix sûre, par Sophie Marin-Degor.
Décidément, la charge de Prieure bénéficie de voix d'or : Mme Lidoine est somptueusement servie par l'onctueux phrasé, le chant infiniment nuancé et le fort grand charisme d'Isabelle Kabatu, tandis que l'écrasant rôle de Mme de Croissy est magistralement interprété par Sylvie Brunet qui soumet l'autorité de son art à la richesse du texte. D'une humanité à fleur de peau, son incarnation s'avère non seulement sensible mais encore bouleversante, laissant un souvenir ému.
BB