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Chroniques
Dido and Æneas | Didon et Énée
opéra d’Henry Purcell
Didon et Enée de Purcell n'a pas été si souvent à l'honneur ces temps-ci pour qu’on boudât son plaisir lorsqu'une nouvelle production nous en est proposée. L'Opéra de Lausanne s'associe Gabriel Garrido (à qui l'on doit des versions de référence des opéras de Monteverdi, entre autres) et le jeune chorégraphe Cisco Aznar qui vient à la scène lyrique pour l’occasion. Dans la ville qui héberge l'une des compagnies de danse les plus célèbres (celle de Maurice Béjart), ce choix surprendrait-il ?
Nul besoin de résumer l'histoire de cet unique opéra de l'Orfeo britannicus. Cette œuvre considérée par beaucoup comme une sorte d'ovni ne nous est pas parvenue dans son intégralité. Il manque la musique du Prologue, entre autres. La facilité consiste bien souvent, compte tenu de la brièveté de Didon et Enée, à rajouter au programme pour le compléter un semi-opéra de Purcell ou une œuvre tout à fait étrangère. Ici – et c'est une des belles surprises de cette nouvelle production – Gabriel Garrido a tenté de réécrire les parties manquantes. Il est allé chercher dans des ouvrages de Purcell peu ou pas enregistrés. Et c'est une véritable réussite, un émerveillement de tous les instants. Didon et Enée est alors présenté comme un véritable opéra. Mais un opéra qui aurait toutefois conservé le charme d'un mask, ce spectacle hybride qu'affectionnait tant les anglais du XVIIe siècle, où doivent se mêler non seulement la musique et le chant, mais également le théâtre et le ballet, avec harmonie.
Le Prologue ayant retrouvé sa place, le théâtre s'en empare.
L'histoire ne devient que progressivement celle des deux héros du titre. Officiellement, même si les musicologues d’aujourd’hui nuancent cette idée, Didon et Enée aurait été créé pour un collège de jeunes filles. Ainsi voyons-nous de jeunes élèves préparer durant un exercice de lecture ce qui doit devenir un spectacle de fin d'année. Mais le jeu devient fantasmagorie et les personnages s'imposent aux jeunes lectrices. S'appuyant sur les costumes et les décors « déjantés » mais parfois un peu crus de Luis Mara, la mise en scène est ludique et impertinente. Des projections font apparaître les acteurs les uns après les autres dans un cercle placé au-dessus de la scène et dans lequel tournent un poisson rouge et des fourmis. Cette jeunesse dorée, qui se livre à des jeux interdits pour rompre l'ennui et fuir une existence « en bocal », s’ingénie à se faire peur et à aimer. Incapable de maîtriser les conséquences de ses actes, elle est dépassée par la tragédie.
Le spectateur a parfois l'esprit trop sollicité par tout ce qui passe sur scène. Si l'idée de base est intéressante, elle mériterait parfois un peu plus de concision dans le traitement. Certains ballets, dont celui sur la mort de Didon, font passer au second plan la fulgurance musicale et alourdissent le propos.
La distribution est homogène et pétillante.
Sarah Castle est une Didon ingénue et boudeuse. Son timbre mordoré est tendre. Elle projette parfaitement la voix et son phrasé lui permet de jouer sur l'ambiguïté des mots. Jean-François Lapointe est un Énée juvénile et naïf. Surdimensionnée par rapport aux autres, sa voix accentue le côté sympathiquement maladroit de cet adolescent tout juste sorti de l'enfance, telle que le fait apparaître cette production. Le timbre et la musicalité apporte du brillant aux récitatifs. Dans le rôle de la Sorcière, Cécile van de Sant est vocalement et scéniquement inquiétante et « fêlée » à souhait. Toute la distribution semble prendre un réel plaisir, y compris le Chœur maison.
Le plus grand bonheur vient de la fosse.
Si le répertoire baroque n'est pas le pain quotidien de l'Orchestre de Chambre de Lausanne, la direction souple, enflammée et solaire de Gabriel Garrido lui fait trouver de belles couleurs. Seule la présence de deux bassons nuit légèrement à la délicatesse des nuances. Cette nouvelle production de Didon et Enée reçoit bon accueil du public. Mais à vouloir mettre l’œuvre en miroir de notre société pour en montrer la modernité, elle perd la poésie de sa mélancolie baroque.
MP