Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Dreigroschenoper | L’opéra de quat’ sous
opéra de Kurt Weill

Festival d’Automne / Théâtre de la Ville, Paris
- 15 septembre 2009
Bob Wilson met en scène Die Dreigroschenoper, opéra de Kurt Weill
© lesley leslie-spinks

Voilà bien l’événement de la rentrée musicale, sans aucun doute ! C’est le Théâtre de la Ville et le Festival d’Automne qui nous l’offrent, en invitant cette superbe production du Berliner Ensemble. Grand habitué de ce festival, Robert Wilson signe un Opéra de quat’sous magistral qui, pour styliser à sa façon les climats et paysages de la pièce, en érige plus énergiquement qu’aucun le décorum infernal. Distanciation absolue, donc, pour ce spectacle qui fait rire et frémir. Quel drôle de défilé de figures grimées devant l’infamante roue de la fortune lumineuse, durant le Prologue, par exemple ! Ici, chaque détail est soigneusement réglé, une exigence terriblement précise régissant l’édifice, et l’on se prend à s’intéresser non pas au destin des personnages, sommes toutes emblèmes ou marionnettes, mais à la rhétorique en soi. L’on rit, l’on réfléchit, et l’on souffre un peu, aussi. Cabaret, chorégraphie, théâtre d’ombre, bande dessinée, cinéma muet, autant d’approximations pour décrire cette vaste sauterie de clowns sordides, architecturée dans un raffinement indicible qui la rend d’autant plus scandaleuse.

Décidément soirée de théâtre plus que de musique, les artistes lancent une déclamation chantée plus qu’ils ne chantent véritablement, et c’est fort bien ainsi. Froideur clinique de Veit Schubert en Peachum, soubresauts et hoquets hystériques de sa femme Traute Hoess, suraigu génialement insupportable d’une sorte de recette d’innocence pour la Polly de Christina Dreschsler, charme ambigu de Stefan Kurt en Macheath, attachante Jenny au gosier brisé d’Angela Winkler, sans oublier ce tendre diable de Brown, fascinant Axel Werner.

En fosse, un morbide bigband de brique et de broc est, avec un sens indéniable du théâtre, conduit par Hans-Jörn Brandenburg, tirant à plusieurs reprises la partition vers Broadway, destination future de Kurt Weill. Ce Dreigroschenoper sera repris pour quatre soirs d’avril dans ce même théâtre : à ne manquer sous aucun prétexte.

BB