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Chroniques
Die Entführung aus dem Serail | L’enlèvement au sérail
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Quel bonheur d’assister, enfin, à la production de l’Enlèvement prévue l’été dernier pour le Festival d’Aix-en-Provence et annulée pour les raisons que l’on sait ! Pendant près de trois heures, l’équipe réunie pour l’occasion nous offre un plaisir et un bonheur complets, tant par la qualité des chanteurs et de l’orchestre que par les surprises, les gags délicieux et l’enchantement que nous réservent le couple de metteurs en scène. Ici, pas de temps mort, pas d’ennui : le cœur d’enfant qui sommeille en nous est à la fête, le public ne cesse de sourire et de rire, ravi et émerveillé par ce qui lui est offert.
Rendons hommage, tout d’abord, au couple Makéieff-Deschamps qui, comme à l’accoutumée, fourmille d’idées, sans jamais tomber dans la vulgarité, le déjà vu ou la répétition. Bien au contraire, le couple nous offre un bijou qu’ils ont ciselé avec tendresse et respect. La première idée géniale est d’avoir confié le rôle très ingrat du Pacha Sélim à un extraordinaire danseur – comédien d’origine perse et spécialiste des danses orientales. Ainsi, au lieu de devoir supporter un acteur débitant son texte, le Pacha danse et offre des pages de poésies persanes complètement adaptées à l’action. Certains spectateurs se sont même demandés si Mozart n’avait pas prévu cette prosodie complémentaire pour mieux enraciner son action. Dès lors, ses danses époustouflantes (façon derviche tourneur) en font un personnage-clef de l’action. Autour de lui, un plateau de jeunes chanteurs émérites : ici pas de diva vieillissante, ni de divo obèse, mais de très jeunes chanteurs sexy et crédibles dans leur rôles. Le fait que nos metteurs en scène leur aient adjoint cinq comédiens – mimes de grand talent, représentant la garde rapprochée omniprésente d’Osmin, a sûrement contribué à l’excellence de leur jeu.
Il semble qu’au fil des représentations la belle voix de Madeline Bender (Constance) ait fini par apprivoiser les difficultés redoutables de ces airs. Quoi qu’il en soit, ce soir, elle était en état de grâce, comme d’ailleurs l’ensemble de la troupe. On émettra de légères réserves sur les vocalises difficiles de Matthias Klink (Belmonte) et sur les graves sourds de Wojtek Smilek (Osmin). Le couple de serviteurs est exceptionnel de charme, de sensualité et d’espièglerie. Qui pourra oublier cette Blonde, fouet à la main, dans son premier air, envoûtant Osmin, tel un charmeur oriental de serpents ? Cette même Blonde nous persuade, si nous l’avions oublié, que Mozart avait bel et bien conçu un personnage féministe avant la lettre et que cet opéra était déjà un plaidoyer pour la condition de la femme… Quant aux interventions des cinq comédiens, elles sont tout bonnement hilarantes. Les gags, sont, dans l’ensemble, fins et adaptés à l’action et en osmose avec la partition. Ils sont présentés sous la forme d’apparitions d’objets incongrus, de pantomimes à la fois tendres et comiques (danse des dindons au premier acte). Les décors merveilleusement éclairés sont très simples et conçus autour de deux idées-forces : une grande tour laide, très austère, représentant le sérail et réagissant, elle aussi, à l’action et à la musique (elle s’allume, elle fume, elle se hérisse de lances…) et de somptueuses aquarelles géantes peintes par Miquel Barceló, se succédant les unes aux autres, scène après scène.
L’autre orfèvre de la soirée est, bien sûr, Marc Minkowski, qui mène l’excellent Orchestre Léonard de Vinci, tambour battant, riche d’une infinité de nuances, nous conduisant, avec un égal talent, du désespoir à la liesse.
Décidément, nous avons assisté à une très belle soirée, dans une production destinée à devenir culte, reprise cet été au festival d’Aix. Ce soir, le Théâtre des Arts fête son six-millième abonné : avec des productions de cette qualité, on comprend les rouennais…
MS