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Chroniques
Die Entführung aus dem Serail | L’enlèvement au sérail
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart (version de concert)
Sous l'effet formidable de l'Ouverture, les cheveux se dressent ! Tant pis pour les chauves, les perruques et les retardataires, voici le Théâtre des Champs-Élysées enlevé pour de bon dans la fameuse turquerie de Mozart, en vogue depuis quelques étés en France (de Paris à Lyon, en passant bientôt par Toulouse). Cette nouvelle version de concert, sous la fresque dorée de Bourdelle, provient de l'Opernhaus de Zurich où court une nouvelle production de L'Enlèvement au sérail jusqu'aux fêtes, d'où peut-être cette ambiance de réveillon viennois avant l'heure, avenue Montaigne.
À commencer par l'ensemble La Scintilla, le régal orchestral saisit vite et fort le public, sitôt bousculé par quelques sonorités nouvelles, parfois, mais surtout par l'expressivité du très jeune chef Maxime Emelyanychev – à peine plus âgé que le compositeur lors de la création de l’ouvrage. Adepte bondissant d'une direction très sportive, voire possédée, remuant comme un agent de la circulation place de Clichy aux heures de pointe, le natif de Dzerjinsk (petite ville quelque part sur le plateau de Russie centrale, et alors sous la perestroïka) ne craint ni torticolis ni montagnes russes à tant jouer sur les écarts de volumes et de rythmes. Attention aux foudroyants sprints fractionnés, marqués de vrais temps d'arrêt.
Maintenant dans le Singspiel, par l'étrange mais concevable politesse zurichoise de recourir à un conteur francophone pour passer outre le parlé allemand – supprimant du même coup le rôle du pacha ! –, le comique de situation s'en va aussi, et ce en dépit des modulations talentueuses de la jeune basse argentine Nahuel Di Pierro, régulièrement mozartienne [lire nos chroniques du 2 juillet 2016, du 10 décembre 2014, du 27 avril 2013 et du 15 mars 2012] pour camper l'ombrageux gardien Osmin (et une belle pointe de furie au fameux petit allegro assai colérique).
Sans trop jouer avec l'interrupteur au risque de cabotiner, comme semble le faire le ténor Michael Laurenz en Pedrillo tantôt surexcité, tantôt hyper-volontaire [lire nos chroniques du 26 juin 2016 et du 3 novembre 2015], le lyrisme s'épanouit plutôt dans l'entre-deux, par exemple avec Martern aller Arten, le grand air de Konstanze, qui affirme un caractère à la fois sensible et ferme. Soprano vedette [lire nos chroniques du 11 avril 2016, du 19 octobre 2013, du 12 octobre 2012, du 24 février 2012 et du 28 février 2010], Olga Peretyatko est à son meilleur, avec le verbe et la chaleur d'une amante dominant les afflictions passées. S'y entremêlent la douceur nuancée et l'aplomb martelé de l'orchestre pour composer, dans la luxuriance viennoise atteinte de la petite fièvre juvénile d'Emelyanychev, une vraie personnalité. Petit miracle que cette naissance de l'être scénique vivant, créature de rêve symphonique... Mozart est encore ovationné, intact, à sa place dans l'éternel.
Sucrées la plupart des répliques en allemand, le dialogue musical rondement mené par un chef audacieux qui trop embrasse (pour bien étreindre, c'est-à-dire ici dans l'amour gratuit et le pardon désintéressé), on menace de tomber un peu malade dans une série de courants d'airs (comme dans un retour du Singspiel à l'opera seria), à force aussi de souffler le chaud – les janissaires, par le Zusatzchor des Opernhaus Zürich, plus électrique que joyeux – et le froid – la Traurigkeit de la Konstanze d’Olga Peretyatko, plus monotone que triste.
Contre la fatigue, voire le flétrissement, le ténor Pavol Breslik montre en Belmonte sa voix d'or. Dès l'ariette introductive, il rend tout de suite sensible le trouble amoureux. Doux et exact dans le juste entre-deux mélodramatique ängstllich et feurig, le Slovaque, salué sur les grandes scènes internationales [lire nos chroniques du 25 juillet 2016, du 25 juillet 2011 et du 4 août 2010], décontenance par son art à redonner tant de charme à la simple poésie allemande du livret. Son lyrisme brille même à travers l'exercice de style Ich baue ganz auf deine Stärke, un air habituellement passable conclu ce soir sous les bravos.
Quand se diffuse enfin l'esprit festif général ?
Comme le quatuor boucle l'Acte II. Gracieux et chaleureux, révélateur de la vitalité du doute amoureux, le passage inonde de bonheur les spectateurs avertis, certes, mais encore friands de nouveauté... Ainsi le clément accueil réservé à la Blondchen, délicieuse de minauderie, puis de charme maîtrisé, de la jeune Canadienne Claire de Sévigné, au soprano ample et aventurier, osant imiter Osmin à son plus caverneux, lors du duo. Bien vu, comme l'immense clameur de la soirée qui revient à cette sympathique tête de Turc et ses « schnüren zu! », expectorations délirantes et toutes adorables (fi de l'halitose !).
FC