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Chroniques
Die Feen | Les fées
opéra de Richard Wagner
Avec pour seule référence les enregistrements de Gábor Eötvös à l’Opéra de Cagliari, de Wolfgang Sawallisch à Munich et d’Edward Downes à Londres, éventuellement complétés par Das Liebesverbot par le même Sawallisch, Downes encore ou Robert Heger, le public français n’a guère de quoi se vanter de pouvoir connaître le premier opéra de Richard Wagner. Grâce à la programmation volontiers pionnière – en tout cas originale – du Théâtre du Châtelet, quelques dix mille spectateurs sauront apprécier à leur juste valeur les premiers pas du père de Parsifal. Que dire de l’œuvre ? Outre la trace évidente et bien naturelle de Beethoven et de Weber, on rencontre Gluck et Mozart dans l’Acte II, Bellini dans l’écriture des voix féminines et même un peu de Wagner – mais si ! – dans celle des chœurs.
Vers l’âge de treize ans déjà, Wagner se penche activement sur le monde du théâtre en écrivant Leubald, une tragédie qui, représentée, occuperait sans doute quelques six heures, s’inspirant à la fois de King Lear et d’Hamlet (Shakespeare), selon les propos postérieurs du compositeur lui-même. Quelques années plus tard, le jeune homme rédige le livret de ce qu’il croit pouvoir devenir son premier opéra, Die Hochzeit, dont il n’achève cependant pas la musique – entre unFrédéric I, unAchille et même unJésus, on dénombre ainsi une bonne douzaine de projets qui ne verront pas le jour. Le temps de l’étude à peine terminé vient celui de la Paukenschlagouverture, de Die Braut von Messina (ouverture pour la pièce de Schiller), de Faust (sept Lieder), de nombreuses pages pianistiques et d’une Symphonie en ut majeur, mais aussi celui de la découverte, cette période enthousiaste où les oreilles s’approprient la musique entendue. En 1833, le musicien de vingt ans connaît bien celles de Haydn et Beethoven et, tout en adaptant une cavatine d’Il Pirata de Bellini (1826) et un air duVampyr de Marschner (1828), s’investit dans Die Feen dont le livret s’inspire de La donna serpente du Vénitien Carlo Gozzi (dont les contes fécondèrent tant les compositeurs, comme l’on sait). Pourtant, c’est Das Liebesverbot, l’ouvrage suivant, inspiré de Measure for Measure (Shakespeare, encore), qui connaîtrait le premier les planches (1836), alors que Die Feen n’y sera qu’en 1888, alors même que son auteur n’est plus de ce monde.
Encore fallait-il garantir cette résurrection grâce au concours d’une équipe propre à l’assumer. En réunissant une distribution globalement satisfaisante, les maîtres d’œuvre de ces Fées – Jean-Luc Choplin, Marc Minkowski et Emilio Sagi – ont su réaliser au mieux leur projet. Après qu’on aura dit la déception générée par les prestations de William Joyner dans le rôle d’Arindal et de Laurent Naouri dans celui de Gernot, on ne pourra que féliciter la dizaine de chanteurs où se remarquent tout particulièrement le Gunther clair de Brad Cooper, l’élégance du chant de Lina Tetruashvili (Lora), la fermeté d’émission et de projection du Morald de Laurent Alvaro, l’impérative autorité vocale, maniant une majesté de velours, de Nicolas Testé (Roi des Fées), et surtout l’égalité imperturbable et la conduite exemplaire du phrasé de Christine Libor en Ada.
À la tête de ses Musiciens du Louvre, fidèle à son credo, Marc Minkowski sert la partition en prenant bien soin d’oublier les habitus wagnériens généralement admis. Aussi fait-il entendre plus intimement encore d’où vient cette musique comme ce vers quoi elle tend déjà, outre d’annoncer dans sa dramaturgie bien des thèmes à venir, en manière d’obsessions – la désobéissance au père, la rédemption, le nom qu’il faut taire, etc. Grandes vitalité et couleur, donc, dans cette interprétation qui avance main dans la main avec la mise en scène inventive à souhait d’Emilio Sagi, confrontant le réel et l’onirique en jouant sur le désir de l’un et la fascination de l’autre. Nous sommes bel et bien dans un conte où l’imaginaire vogue dans les lumières choisies d’Edoardo Bravo que réfléchissent les costumes de Jesús Ruiz.
BB