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Chroniques
Die Feen | Les fées
opéra de Richard Wagner
Alors que le prestigieux Bayreuther Festspiele annonçait, il y a quelques semaines, l’entrée à son répertoire de Rienzi, der letzte der Tribunen, opéra de jeunesse de Wagner, créé à Dresde à l’automne 1842 [lire nos chroniques des productions de Philipp Stölzl, de Jorge Lavelli et de Matthias von Stegmann], le Staatstheater Meiningen accueille en ce moment une autre rareté, Die Feen, écrit par le musicien à l’âge de vingt ans à partir d’un conte du Vénitien Carlo Gozzi, La donna serpente – un siècle plus tard, Alfredo Casella en ferait lui aussi un opéra [lire notre critique de La donna serpente]. De cet ouvrage en trois actes, les contemporains du compositeur n’eurent pas la connaissance, puisqu’il fallut attendre le 29 juin 1888, cinq ans après la disparition du maître, pour qu’il gagne les planches pour la première fois (à Munich), contrairement à l’autre des grandes pages de jeunesse, Das Liebesverbot oder Die Novize von Palermo, écrite l’année suivante d’après Mesure pour mesure de Shakespeare (1623), qui connut les honneurs de la scène à Magdebourg, au printemps 1836 [lire notre chronique du 19 février 2016]. Il n’y aurait d’ailleurs rien d’incohérent à ce que la Colline Verte accueille désormais ces deux-là, ce qui complèterait l’offre wagnérienne et favoriserait une approche plus panoramique du phénomène. Quant à la maison sud-thuringeoise, elle n’avait pas encore proposé l’œuvre : cette série fait donc événement.
À Meiningen, la lourde tâche de redonner vie à Die Feen, si rarement joué [lire nos chroniques des productions d’Emilio Sagi et de Renaud Doucet] incombait à Yona Kim qui, avec la complicité de Frank Schönwald pour les costumes et de Jan Freese pour le décor, intériorise par sa symbolisation le romantisme exacerbé de l’argument qu’elle propulse au temps de l’écriture de l’œuvre, dans un univers lourdement Biedermeier agrémenté de reproductions grand format de tableaux de Caspar David Friedrich. Ce climat d’épouvante domptée doit sa politesse à l’intervention médicamenteuse, aux soins prodigués par un personnel spécialisé dans une clinique chic et loin du monde dont les fantômes du passé de chaque patient hantent le luxe. À la dérive des esprits répond la fuite du sol. Le résultat est plutôt brillant et son pari tient avec hardiesse jusqu’au bout.
À la tête de la Meininger Hofkapelle – l’un des plus anciens orchestres allemands puisqu’il fut fondé en 1690 –, le jeune Killian Farrell, aujourd’hui directeur musical du Staatstheater Meiningen, n’a pas hésité à trancher, s’il le fallait, dans le matériau. Nous n’entendons donc pas la totalité de la partition, mais c’est mieux ainsi, cela bénéficiant à la dramaturgie comme au maintien de la concentration. Wagner est bien là, quoiqu’on décèle facilement dans Die Feen des réminiscences de Beethoven et la presque contemporanéité avec Hoffmann et Weber, tous deux disparus au moment de sa conception (le premier en 1822, le second en 1826). L’expressivité et la démesure wagnériennes dont Farrell se fait le champion zélé, sont pourtant au rendez-vous. La finesse du travail de mis en bouche de Roman David Rothenaicher au pupitre du chœur maison permet une perception optimale du livret, détail très appréciable qui vient éclairer la mise en scène.
La vaste équipe vocale signe elle aussi une belle approche de l’ouvrage. On y apprécie Selcuk Hakan Tıraşoğlu en vaillant Roi des fées, le véhément Johannes Schwarz en Gernot sonore et tonique, ainsi que le timbre caressant de Shin Taniguchi dans le rôle de Morald. Avec un titre pareil, pas de doute que la part féminine de la distribution trouve sa place. Le soprano Sara-Maria Saalmann prête à Drolla une voix agile. Emma McNairy livre une Lora à l’impact généreusement dramatique, doté d’un legato exemplaire. La Zemina de Deniz Yetim paraît luxueusement distribuée tant les moyens vocaux sont riches. Sa prestation est un vrai bonheur. Quant à la Farzane de Tamta Tarielashvili, elle possède elle aussi une voix de taille qui survole allègrement l’écriture parfois excessivement chargée de l’orchestre et du chœur. La couleur vocale du jeune mezzo géorgien conjugue un art certain et un charme particulier. Bonne comédienne, Lena Kutzner incarne une Ada idéalement respirée, avec la complicité du chef qui veille à ne pas mettre en danger un format sans doute moins confortable que celui des précédentes, ce qui autorise un chant élégamment musical et toujours onctueux. Enfin, David Danholt affirme un ténor d’airain dans la partie d’Arindal, redoutable. Il fait preuve d’une endurance stupéfiante, avec un organe héroïque tel qu’attendu par le compositeur.
Pas fâché d’avoir fait le déplacement !
HK