Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Forelle, confrontée à la musique de Jonathan Harvey
L’excellence Diotima

Biennale de Quatuors à cordes / Cité de la Musique, Paris
- 13 janvier 2010
Thibault Stipal photographie le Quatuor Diotima
© thibault stipal

Ouvert hier soir [lire notre chronique], le grand rendez-vous avec le quatuor à cordes se poursuit dans l’entrelacs d’œuvres en création (dont quelques commandes), d’opus contemporains et d’une intégrale Schubert que se partagent douze formations. Après le Onzième Quatuor donné hier, le Premier joué par Sine Nomine en début de soirée, c’est l’illustrissime Quatuor Pražák qui s’attèle maintenant au Quatuor en ré majeur D94 n°7 conçu par un Schubert encore adolescent (vers 1813, il compte seize printemps). L’on apprécie la formation tchèque qui en ouvre l’Allegro dans une tendresse secrète à laquelle s’oppose bientôt une judicieuse vivacité des attaques. Pourtant, dès ce mouvement initial, la lumière indéniable du premier violon trouve ombrage dans d’incontestables problèmes de justesse. Assez évidemment haydnien, l’Andante affirme une élégance discrète, tandis que le Menuet tisse sa tonicité dans un velours indescriptible. Enfin, une sympathique effervescence régit le Presto conclusif, dominé, comme l’ensemble de l’exécution, par l’excellent Michal Kanka au violoncelle.

La notion d’intégrale déborde le genre, avec le fameux Quintette en la majeur D.667 « Die Forelle » – composé cinq ans plus tard à partir du Lied (Op.32) non moins fameux imaginé pour le baryton autrichien Johann Michael Vogl (1768-1840) à partir du poème du désormais oublié Christian Schubart (1739-1791) – que donnent les Pražák moins un violon, Jiří Hudec à la contrebasse et le pianiste François-Frédéric Guy qui semble décidément désireux d’approfondir son cursus schubertien – l’on garde en souvenir la belle D960 de cet automne [lire notre chronique du 1er octobre]. Aussi est-ce un piano délicatement moelleux qu’il nous fait goûter, dont la rondeur du grave favorise à souhait le relais de timbres avec la contrebasse. C’est également un piano chantant auquel répond la riche présence du violoncelle. À un Andante comme paresseusement articulé dans la touffeur d’un après-midi peut-être mélancolique succède un Scherzo musclé, mais toujours soigneusement nuancé. Malheureusement, la truite variée du pénultième épisode pourrait bien n’être qu’avariée tant la gâchent les approximations des cordes… Les instrumentistes se reprendront dans le Finale qu’ils donnent dans une simplicité qu’on pourrait dire villageoise, quoique n’excluant pas des demi-teintes savantes.

Nous le disions en préambule : le mélomane ne s’en tiendra pas à Schubert, loin s’en faut. La soirée a commencé par le Quatuor n°4 que Jonathan Harvey conçut pour les habituelles seize cordes et dispositif électronique en temps réel, il y a sept ans (les Arditti, qui se produiront dans le cadre de cette Biennale après-demain, le créèrent à Bruxelles en mars 2003).

Une fois de plus, le Quatuor Diotima [photo] met au service d’une œuvre complexe ses grandes qualités, ne se contentant pas de la précise fidélité qu’on lui connaît mais s’en emparant vers l’interprétation plutôt qu’à la confiner dans l’exécution. Si les premiers pas de cet opus laissent augurer une économie de moyens assez austère, la seconde section révèle qu’au contraire Harvey manipule, concocte, triture, mitonne ses procédés en un subtil appareil qui en transcende magistralement la cuisine, jusqu’à mener les quartettistes vers un lyrisme virevoltant qui s’achève en spirale.

BB