Chroniques

par laurent bergnach

Die lustigen Weiber von Windsor
Les joyeuses commères de Windsor

opéra d’Otto Nicolai
Opéra Royal de Wallonie, Liège
- 5 février 2015
Les joyeuses commères de Windsor, singspiel d'Otto Nicolai, vu à Liège
© opéra royal de wallonie

« Un homme sans humour n’est pas un homme », fait dire Brecht à Puntila. Cette pensée peut se méditer, près d’un mois après les tueries parisiennes qui visèrent d’abord des « dessinateurs de p’tits bonhommes » – pour citer Luz, divin croqueur de l’Invisible –, des héritiers des Lumières frappés en amont d’une nouvelle bataille contre l’obscurantisme, dans la joie de la création collective. Il est donc vrai qu’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, ruminions-nous, tandis que surgissaient opportunisme politique – à travers un « merci à eux » digne d’un pot de retraite, une tentative d’orienter le débat vers la peine de mort ou une marche républicaine truffée de moutons noirs – et mise en vedette commerciale via un slogan fraternel détourné avec cynisme. Mais fermons (pour l’instant) la parenthèse, et place à la comédie !

Le 9 mars 1849, à l’Opéra royal de Berlin, on crée un Singspiel d’Otto Nicolai (1810-1849) : Die lustigen Weiber von Windsor. S’affirmant au fil des ans comme un musicien complet (baryton, maître de chapelle, compositeur), l’élève de Carl Zelter a déjà travaillé pour la scène italienne – Enrico II (Trieste, 1839), Gildippe e Odoardo (Gênes, 1840), Il proscritto (Milan, 1841) – quand il répond à l’invitation du roi de Prusse, Friedrich Wilhelm IV, désireux de faire de l’opéra un vecteur de l’esprit national. De fait, peu nombreux depuis la première tentative de Schütz (Dafne, 1627), des ouvrages lyriques majeurs s’imposent avec l’arrivée du romantisme, signés Mozart (Die Zauberflöte, 1791), Hoffmann (Undine, 1813), Weber (Der Freischütz, 1821) et Marschner (Hans Heiling, 1833) [lire notre chronique du 8 mars 2004].

Dans une époque où, remit par la science à sa juste place au sein de l’univers, l’Homme cherche à mieux se connaître, la fascination pour l’œuvre universelle de Shakespeare (1564-1616) s’impose, tant elle foisonne de personnages complexes dont est mis à l’épreuve le libre arbitre, lié à une « interprétation correcte, erronée ou fallacieuse de prédictions ambiguës venant d’êtres fantastiques et magiques, dont on ne sait s’ils représentent des êtres extérieurs ou l’émanation des tréfonds de leur personnalité » (dixit le musicologue Jean-Marc Onkelinx). Puisant dans The merry wives of Windsor (1602), Otto Nicolai et Hermann von Mosenthal conçoivent un livret à l’équilibre bluffant, accordant plus de place aux femmes mariées qu’au goujat Falstaff, character qu’Elisabeth I avait apprécié dans Henry IV et Henry V.

Metteur en scène de cette rareté coproduite avec Lausanne, David Hermann [lire notre chronique du 7 mai 2013] voit dans le personnage célébré par Verdi [lire notre chronique du 15 novembre 2013] et Salieri [lire notre critique du CD] quelqu’un « qui met le feu à des barils de poudre qui ne demandaient que cela ». Falstaff devient un fantasme protéiforme (caché par un voile de baldaquin ou un costume de faune) qui agite une communauté bourgeoise, objet de désir pour Madame et de colère pour Monsieur, lesquels déballent leur ressenti dans le cabinet, tapissé de motifs façon Rorschach, d’un thérapeute didactique (le comédien Sébastien Dutrieux). Globalement, la réalisation tient la route, avec l’avantage d’apporter une touche d’angoisse à la farce attendue – on pense à la scène de l’auberge (Acte II, Tableau 1), confrontation de Fluth à « la voix du rival », au cauchemardesque plus appuyé que la féérie du finale.

Dans les décors plein d’âme de Rifail Ajdarpasic (façade de villa avec piscine… gonflable, intérieur chic, etc.), habillés par Ariane Isabell Unfried, les chanteurs font surtout valoir leurs qualités en seconde partie de soirée : Franz Hawlata (Falstaff), basse ample, Anneke Luyten (Frau Fluth) d’une rondeur incisive, Werner van Mechelen (Fluth), nuancé autant que vaillant, Sabina Willeit (Frau Reich), mezzo efficace, Laurent Kubla (Reich), baryton sûr, et Davide Giusti (Fenton), ténor souple et brillant. Convoitée en vain par le sonore Patrick Delcour (Dr. Cajus) et le prometteur Stefan Cifolelli (Spärlich), Sophie Junker (Anna) convainc également, même si sa fluidité limpide s’accompagne de quelque verdeur. Nous séduisent enfin la précision du Chœur « maison », ainsi que la lecture tendrement rythmée de Christian Zacharias à la tête de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie.

LB