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Chroniques
Die Meistersinger von Nürnberg
Les maîtres chanteurs de Nuremberg
Alors que de nos jours les opéras sont presque tous interprétés dans leur langue natale, quelques salles s’attachent à présenter les œuvres traduites dans celle de leur pays, donc de leur public. Gardien de cette tradition, l’English National Opera propose tous les ouvrages en anglais, même s’il s’agit du plus allemand, Die Meistersinger von Nürnberg devenu pour l’occasion The Mastersingers of Nuremberg. Si la langue anglaise surprend quelques minutes, et dérange surtout dans la partie de Magdalene et dans les grands airs de Walther (Acte III), la vraie surprise vient d’abord de la très grande qualité du spectacle, à commencer par la direction musicale. L’acoustique fort chaleureuse de la salle porte les cordes de l’ENO Orchestra et amplifie les contrebasses (pourtant seulement quatre), et dans le même temps ôte à la masse instrumentale toute lourdeur. Directeur musical du lieu, Edward Gardner fluidifie le propos par un legato étendu quatre heures et demi durant ; il soutient le plateau avec un discours passant du sarcasme à la tendresse, deux aspects bien développés pour le personnage de Beckmesser. Seuls les cuivres sont parfois pris en défaut, notamment dans la transition symphonique du troisième acte.
Du fait d’un texte en anglais que tous comprennent parfaitement, la proximité entre les chanteurs et le sujet est renforcée et accroît le lien avec le public ; il rit beaucoup tout au long du spectacle, porté par la mise en scène intelligente et drôle de Richard Jones. Le Sachs d’Iain Paterson (il a déjà chanté le rôle en allemand) se réserve au début pour donner son ampleur vocale à l’Acte II, puis une présence physique au dernier où il est traité dans son penchant dépressif. Gwyn Hughes Jones campe un Walther solide, pas toujours parfait dans le haut du spectre, mais largement crédible en amoureux chevaleresque, alors qu’Andrew Shore tient la partie du baryton malaimé avec brio, surtout dans le duo et l’air de l’Acte II. L’autre ténor, Nicky Spence, chante un David clair et dynamique, quelquefois légèrement affaibli en fin de phrase par un souffle trop court. Le Veit Pogner de James Creswell est impressionnant de puissance, tant son chant est présent par la clarté et le volume sonore élevé. Des autres Maîtres, saluons le Schwartz de Jonathan Lemalu et le Folz parkinsonien de Roderick Earle, son systématique retard physique sur les autres créant un comique de répétition.
Souvent considéré comme un opéra d’hommes, Les maîtres chanteurs ne s’agrémentent cependant pas seulement d’un vrai rôle féminin mais de deux, sur ce plateau de l’ENO. Rachel Nicholls porte une Eva présente scéniquement et vocalement dès le premier acte, grâce à une superbe projection et à un timbre coloré. Sa confidente Madeleine Shaw fait plus que l’accompagner en construisant son personnage de Magdalene, visible et relativement important, à la fois double d’Eva lorsqu’il s’agit de tromper Beckmesser, mais aussi préoccupé par ses propres problèmes comme ses amours avec David.
Les décors de Paul Steinberg restent classiques, symbolisant l’église initiale par un panneau vert et des bancs de même couleur qui, une fois retirés, laissent seul le mur sur lequel sont apposées les photos des Maîtres. À l’acte médian, la façade de deux maisons en torchis côte à côté, celle de Sachs et celle d’Eva, et au suivant le salon de Sachs rempli d’objets, dont de nombreux livres anciens et un tableau de Tristan et Iseult – certainement celui du préraphaélite Edmund Blair Leighton (1902). Les costumes de Buki Shiff semblent placer les personnages au XIXe siècle, en leur faisant porter vêtures anciennes et tenues d’apparat lors du final. Malgré cette transposition à une époque plus proche de la composition de l’opéra que de celle du vrai Hans Sachs, Richard Jones appose un regard précis sur l’art allemand, avec d’abord ce rideau de scène qui entrecoupe les actes avec une multitude de figures empruntant à la culture d’outre-Rhin, de Bach à Haneke en passant par Arendt, Weber ou Friedrich. Ces mêmes têtes reviendront portées par le chœur à la scène finale, sorte de gloire aux artistes, où il ne manque que le visage de Wagner lui-même. Le reste de la mise en scène use des codes burlesques déjà évoqués et traite admirablement Sachs et Beckmesser, ce dernier se retrouvant nu avec sa mandoline en guise de cache-sexe à la fin du deuxième acte. Plutôt que d’imposer une franche dualité bon-mauvais, le metteur en scène laisse aimer ou au moins comprendre Beckmesser, tiraillé par son destin telle une mariotte que chaque coup d’archet du premier violoncelle vient blesser au début du troisième acte. Sans être ridicule, le personnage de Walther est moins travaillé que celui du cordonnier.
The ENO Chorus participe de la fête en chantant admirablement et en maintenant sa présence scénique même lorsque le livret l’oublie. Avec tous les éléments évoqués, il contribue à un excellent spectacle dont le souvenir nous fera courir à Londres la prochaine fois qu’un Wagner sera joué dans ce magnifique Coliseum.
VG