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Chroniques
Die Meistersinger von Nürnberg
Les maîtres chanteurs de Nuremberg
Avec à son affiche 2013 les reprises de Lohengrin et de Parsifal, mais encore cette première d’une nouvelle production des Meistersinger von Nürnberg, le festival Wagner de Budapest se tient fier dans l’Europe musicale du bicentenaire et ne s’en laisse guère compter par l’exubérance du Danube. Nous retrouvons l’acoustique exceptionnelle du MUPA et les MR Szimfonikus nagykoncert és Énekkar (Orchestre et Chœur Symphonique MR), renforcés par le Nemzeti Énekkar (Chœur national Hongrois), sous la battue avisée d’Ádám Fischer.
La configuration particulière de la salle – qui n’est pas un théâtre d’opéra, rappelons-le, mais un auditorium pour le concert auquel Matthias Oldag [lire notre chronique du 3 juin 2012], Magdolna Parditka et Alexandra Szemerédy [lire notre chronique du 1er juin 2010] s’accommodèrent avec bonheur – semble avoir dérouté le metteur en scène Michael Schulz dont la proposition recourt assez maladroitement à d’incessants aller-retour entre la représentation et ses contingences, à travers de nombreuses mises en abime peu prégnantes qui s’avèrent bientôt simplettes, avouons-le.
Durant la fin de l’Ouverture – contrairement à celle du fliegende Holländer qui escamote le matériau thématique du drame, celle des Maîtres chanteurs parcourt fidèlement les grands moments de l’opéra à jouer, tout en « sonnant » une célébration, ce qui revient à dire que son esprit est lui-même à situer entre Sinfonia baroque, Ouverture romantique et mise en abime de l’argument, en effet –, apprentis, choristes et figurants investissent toute la galerie ; ils arborent costume contemporain noir et fichu blanc pour les femmes. Tout ce monde s’assied face au public, sur les côtés comme dans le balcon central. Aux rôles alors de faire leur entrée, sur scène, eux, en tenue de concert, s’alignant en deux groupes derrière des pupitres. Au centre est ouvert le triptyque de la Crucifixion, tandis que Walther surgit de la salle, monte sur le plateau et, en retardataire souriant niaisement, s’invente une place dans la fourchette de solistes.
Au centre de l’espace les apprentis installent une estrade, préparant la réunion des maîtres, et le triptyque lui-même est utilisé en succédanée de tableau d’écolier lors du discours stylistique de David, en évocation à l’équivoque naïve lorsqu’Eva, tout sourire, le referme pour révéler Adam et Ève au Chevalier von Stolzing (gravure de Dürer : Nuremberg, bien sûr). Tous les personnages bénéficient d’un traitement précis, pour ne pas dire d’un dessin : les apprentis se montrent joyeux morveux agités, les maîtres exhibent en sympathiques phraseurs de multiples petites manies (il en est un qui tricote en mitaines, par exemple), Magdalena encombre sa démarche dans des chapeaux improbables, un énorme collier honorifique déplace Kothner plutôt qu’il avance lui-même, et ainsi de suite. Certains gestes imaginent un rituel à la docte assemblée, qu’il s’agisse d’enfiler des manchettes de dentelles avant de statuer, de ne pas rater la pause sandwich-bière des délibérations, etc.
Pour être bien vus, ces détails ne construisent pas une dramaturgie solide. De fait, Michael Schulz n’est pas dupe et s’ingénie en vain à créer plus de corps à son travail qui finit par se résumer à la dispersion de quelques éléments de décor volontairement exsangues dont l’action eut fort bien pu se dispenser – cloisons de papier-peint désuet, silhouettes de maisons bavaroises, carte ancienne de la cité, Ange (au compas) de la Mélancolie, Le jardin des délices de Jérôme Bosch, etc.. C’est donc à la musique qu’il convient d’élever la soirée, ce qu’elle ne manque certes pas de réussir.
À la distribution vocale d’éblouir, donc ! La poignée de maîtres est efficace, avec Lars-Olivier Rühl en Moser posé, Piotr Prochera en Ortel bien porté, William Saetre en Vogelsang de saine clarté, Zoltán Nagy en Foltz avantageusement timbré, enfin Miklós Sebestyén en solide Kothner. En Pogner, nous retrouvons Eric Halfvarson, son robuste impact et sa grande présence. Encore rencontrons-nous ici une voix notable : celle de Pintér Dömötör dont le grave puissant envahit la salle des quelques phrases dévolues au Nachtwächter. Bien que la voix soit chaleureuse, Gudrun Pelker peine dans la partie de Magdalena qui requiert vraisemblablement plus d’énergie qu’elle n’en donne. Uwe Stickert possède bien les qualités nécessaire au rôle de David : l’émission est directe, comme d’un gosier de gamin, tout en se montrant souple lorsqu’il le faut (délectable, l’énumération des figures de style).
D’un baryton gentiment conduit, James Rutherford livre un Sachs toujours extrêmement précautionneux. Si l’on croit d’abord à un essai de représenter une certaine sagesse du personnage, on découvre bientôt une distance presque condescendante qui ne lui sied pas. Du coup, Hans Sachs se pose en aristocrate un rien méprisant, quand il ne faudra voir à cette étrange impression qu’un certain manque de présence et une voix souvent couverte par une fosse pourtant attentive. Au Walther naturellement incisif, chantant comme il respire, de Klaus Florian Vogt, répond Annette Dasch en Eva lumineuse et enjouée.
La palme revient donc à Bo Skovhus, luxueusement distribué en Beckmesser drôlissime à la préciosité ridicule. « Montrez-vous extrêmement sérieux, écrivait Richard Wagner à Rudolf Freny qui s’apprêtait à chanter le rôle en 1872, cet homme ne fait jamais de plaisanterie sauf quand il prétend être drôle. Très borné et plein de fiel » (traduction de Christophe Looten, Fayard). La hargne du marqueur qui se bat tour à tour avec la colle de son toupet ou une harpe (oui, il est « sérieux », assurément !) est irrésistible. L’artiste est non seulement inventif et grand comédien mais encore s’impose-t-il par un chant somptueusement mené : après tout, Beckmesser est un maître, ne l’oublions pas, il convient donc qu’il connaisse son art. Au delà d’une veine comique inénarrable, Bo Skovhus touche discrètement au tragique le plus sûr, dans l’échec cuisant du III. Il est LA voix de la soirée.
Au pupitre, Ádám Fischer place d’emblée Die Meistersinger von Nürnberg comme l’opéra de la jeunesse – contrairement à l’option de Marek Janowski [lire notre critique du CD]. L’Ouverture est leste, avance avec fluidité dans la couleur chatoyante des cordes et la personnalité particulière des cuivres. La mélancolie est du rendez-vous, elle aussi, tout au long d’une représentation où la fosse chante incroyablement, avec une générosité et un engagement comme il en est peu. Le chœur saisit, magnifier par la majesté du grand orgue du MUPA dont l’acoustique propulse la masse chorale dans le corps qui l’écoute. La pertinence de la direction musicale est remarquable, ravissant l’auditeur dans l’intense âpreté du troisième acte comme dans l’élégance absolue du dernier tableau.
BB