Chroniques

par gilles charlassier

Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze
spectacle de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil

Opéra national de Bordeaux / Auditorium
- 11 avril 2019
Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze, spectacle d'après Haydn
© clarac-deloeuil | le lab

Le Lab, duo formé par Olivier Deloeuil et Jean-Philippe Clarac en 2009 a développé des formes scénographiques originales, pour lesquelles il fut récompensé, l’an dernier, au terme d’une résidence triennale à l’Opéra de Limoges, par un prix du Syndicat de la critique [lire notre chronique de Peer Gynt]. En cette période pascale, l’Auditorium de l’Opéra national de Bordeaux met à l’affiche ce qui est référencé comme un concert-méditation, sur Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze Hob.XX:1 de Joseph Haydn, dans sa version princeps pour orchestre. Mûri à Montepulciano dans le creuset artistique initié par Hans Werner Henze et présenté initialement à la Fundação Gulbenkian de Lisbonne, le projet fut donné le mois dernier à Rouen, avant de faire étape dans la capitale girondine, en amont d’escales ultérieures lors des prochaines saisons.

Dans ce projet de reconstitution contemporaine de l’ordonnancement de l’office du Vendredi Saint pour lequel le corpus de sept sonates avait été commandé par le chanoine de l’Oratoire de Santa Cueva de Cadix, le tandem bordelais est parti à Jérusalem proposer à des passants de s’immerger dans l’écoute de la musique de l’Austro-hongrois. Casques sur les oreilles, chacune des rencontres est ainsi captée par la vidéo de Julien Roques, au hasard des déambulations dans une Ville Sainte saupoudrée de quelques flocons, réparties dans les sept sonates. En gros plan le visage de l’auditeur fait entrer dans cette intimité silencieuse qui renvoie à la nôtre face à la même partition, enjambant la distance physique et temporelle, dans une ubiquité et un œcuménisme qui déjouent les barrières nationales et religieuses au sein des divisions israéliennes que l’on sait, condensation de tous les clivages qui s’inclinent devant l’universalité de l’œuvre.

Pour reprendre une note d’intention d’une belle qualité d’explicitation, sur les marches du Saint-Sépulcre l’on croise des pèlerins d’Amérique latine, Rami, un moine éthiopien orthodoxe sur le toit de son église, Roni, une soldate israélienne, Mohamed, un étudiant palestinien aux côtés de Barbara sur les terrasses du quartier juif, Simon et Noémie dans le marché Mahane Yehouda, Mathilde et Nathacha à Gethsémani, Philippe et Kfir dans un taxi garé en haut du Mont des Oliviers. Comme dans la scénographie andalouse originelle, chacune des sonates est ponctuée par une sélection de textes déclamés par Marina Hands – elle remplace Carole Bouquet rendue indisponible par les aléas climatiques –, anastomosant en un rhizome narratif des sources a priori disparates, de Georges Bernanos à Patti Smith en passant par Simone Weil, Sindiwe Magona, Mikhaïl Boulgakov, Maurice Maeterlinck ou encore les Évangiles.

Envoyées sur une structure en forme de retable, les vidéos suivent le commentaire de chacune des sept paroles, sobrement projetées sur une toile, dans une lumière de candélabre propice au recueillement, réglée par Christophe Pitoiset. Dans l’échafaudage qui se devine derrière le tissu, la narratrice esquisse un parcours, jusqu’au sommet de l’édifice, comme un promontoire devant la Rédemption et l’Éternité, tandis que l’ultime parole conduit à l’Apocalypse, au sens étymologique du terme : le rideau vidéographique tombe et le tremblement de terre irradie depuis les pupitres de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, lesquels, pour cette soirée, ont troqué le frac du concert pour des pulls aux camaïeux terreux, symbole d’une humilité eschatologique qui dépasse les frontières de la foi. À leur tête, Pierre Dumoussaud fait respirer la belle plasticité d’une pâte à la fois aérée et nourrie par des attaques vivantes, sans jamais verser dans la brutalité [lire nos chroniques du 17 septembre 2016 et du 23 novembre 2018]. Cette fluidité, qui ne cherche pas à contourner le relatif monochrome des premiers numéros, s’enrichit ensuite d’un sens évident du contraste et du drame, toujours innervé d’une sincère intériorité que relaient la diction et la présence sobres et investies de la comédienne. On ressort authentiquement touchés de cette relecture initiatique d’un rituel inscrit dans la tradition, qui rend caduque la binarité entre sacré et profane.

GC