Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Walküre | La Walkyrie
opéra de Richard Wagner

Opéra de Marseille
- 20 mai 2007
Charles Roubaud signe une fort belle Walkyrie à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

Habitué de la scène lyrique marseillaise, Charles Roubaud y met en scène la première journée du Ring avec un à-propos d’une sobre élégance dont on ne pourra que saluer la justesse de vue. Avec la complicité du vidéaste Gilles Papain et de Marc Delamézière aux lumières, il invente non seulement des espaces de jeu mais invite l’imaginaire dans des mondes qu’il se garde de trop précisément définir. Les procédés paraissent simples, respectent les didascalies du livret tout en faisant rêver, s’avérant toujours efficaces et diablement esthétiques, tout en abordant finement la métaphysique wagnérienne. Qu’on ne s’y méprenne cependant pas : Charles Roubaud ne se contente pas de belles images au dynamisme sans repos, mais prend au contraire grand soin de construire des personnages et surtout des relations qui animent les situations à représenter.

A-t-on jamais vu confrontation plus animale entre Hunding et Siegmund, par exemple, ou encore plus tendre conflit entre Wotan et la favorite de ses guerrières qu’il croit devoir bannir de ses cimes ? Le mélomane wagnérien est un enfant que traversent des caprices d’adulte, car s’il aime qu’on lui dise chaque jour le même conte, encore exige-t-il que le récit qu’on lui en livre ne soit jamais le même ; cette production saisit au vol le gant qu’il lui jette et s’empare de son attention, alors concentrée sur l’essentiel pour mieux réaliser cet improbable projet de réussir à l’émouvoir avec les heurs et malheurs de dieux soudain humains rien qu’humains.

Cette discrète emprise fait la part belle au peintre génial de l’ouvrage, l’orchestre, que Wagner voulut paysagiste des sentiments, des enjeux cosmogoniques comme des soubresauts élémentaires, devançant dans sa tétralogie l’expressionnisme qui surgirait quelques décennies plus tard, avant de le contredire par le symbolisme alors plus d’actualité de l’ultime Parsifal. Malgré quelques approximations et maladresses çà et là, les artistes de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, sous la direction sagement lisible et scrupuleusement attentive à chacun de Friedrich Pleyer, défendent Die Walküre avec une bonne volonté évidente dont les effets vont se bonifiant au fil de la représentation. Prudent, le chef s’en tient là, ne risquant pas l’instrument qu’on lui confie à des traductions dramaturgiques trop subtiles.

Le plus opératique des épisodes du Ring est servi par un plateau vocal d’exception où chacun se trouve exactement distribué. Outre que ce n’est pas fréquent, dans l’absolu, rappelons sans hauteur que nous sommes à Marseille (j’entends que nous ne sommes pas à Munich, à Hambourg ou à Dresde). Les walkyries offrent une prestation soigneusement équilibrée où se remarquent plus particulièrement la Siegrune d’Elena Gabouri [qui retint notre attention dans Le Balcon et Lady Macbeth de Mzensk ; lire nos chroniques du 28 janvier 2005 à Besançon et du 16 mars 2007 à Genève], la Waltraute d’Anne Salvan et la Gerhilde de Jialin-Marie Zhang. Un rien d’ombre est projeté sur l’ensemble par Sally Brugess qui, pour répondre aux exigences de format de ce répertoire, n’en accuse pas moins des inégalités et des bizarreries dans l’émission, et cantonne Fricka dans des accès de mégère fielleuse en oubliant que beaucoup d’amour motive les reproches faits à son loup infidèle.

Impressionnant d’autorité et de rudesse, Artur Korn est un Hunding presque sauvage dont le grain vocal vient fermement percuter l’écoute, de même que surprend un jeu d’une pertinence qu’on pourrait dire économique, rendu possible par une présence allant de soi. Son jeune rival est le clair et vaillant Torsten Kerl (Siegmund) dont on apprécie la lumière de l’aigu comme l’intelligence de la nuance, qualité à laquelle répond admirablement le précieux velours que Gabriele Fontana met au service d’une Sieglinde captivante d’ardeur, libérant un registre haut d’un moelleux admirable dans le dernier acte.

Après un début un peu crispé qui génère des aigus parfois durs, Janice Baird se montre, une fois de plus, une immense Brünnhilde qui puise autant dans la partition que dans la mise en scène la fraîcheur de caractère du personnage, rendant presque palpable, par son dévouement, son rôle de miroir malmené de la volonté contrariée du père des combats. Enfin, s’il nous fut donné de constater plus d’une fois l’alarmante disparition de chanteurs capables d’honorablement incarner Wotan, Albert Dohmen chasse magistralement toutes les déceptions, en livrant, du chant sensiblement phrasé d’un organe qui assume sans rougir les extrêmes de la tessiture convoquée, un dieu d’une humanité confondante, comme en témoignent des adieux d’anthologie.

BB