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Chroniques
Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner
En prélude à la chronique de Das Rheingold, nous rappelions que Leipzig n’attendit pas pour célébrer l’enfant du pays – Richard Wagner naquit ici le 22 mai 1813. Et si la ville honore sa musique avec les annuelles Wagner-Festtage, dès avril 1878 le théâtre réalisé par Carl Ferdinand Langhans (1782-1869) une dizaine d’années auparavant se lançait déjà dans un Ring à l’initiative de l’intendant (et baryton) d’origine slovaque Angelo Neumann (1838-1910), ouvert par Das Rheingold et Die Walküre puis achevé en 1879 par Siegfried et Götterdämmerung. Or, le cycle avait été créé au complet à la mi-août 1876 au Bayreuther Festspiele : le Ring de Leipzig fut donc le premier que l’on put voir loin de la colline.
Hier nous emportions l’image du pommier magique de Freia, que formaient danseuses et danseurs [lire notre chronique de la veille]. La production de Rosamund Gilmore continue à donner beaucoup de responsabilités aux corps, ballet anthropomorphe de béliers et de corbeaux surgissant dans la tempête de neige (vidéo d’Andy Zabel) sur la terrasse supérieure d’un bâti rectangulaire traversé par le frêne sacré, terrasse bordée par de sévères barbelés dans une lumière de lune guerrière (Michael Rüger). En manteau de loup (c’est un Wälse), Siegmund pénètre dans la maison par un escalier métallique étroit, suivi sur les premières marches par ces créatures omniprésentes. Rien d’accueillant dans le refuge d’Hunding, avec ses deux portes blindées, sa batterie de fusils et un intimidant trophée de chasse. Lorsque le conflit se précise entre les deux hommes, la danse se resserre autour du tronc mythologique, et quand l’amour se déclare entre frère et sœur, les corps se câlinent par couple.
L’acte suivant nous mène au dos du décor de bains dont nous avion noté l’état d’abandon (Carl Friedrich Oberle). Les fissures se sont élargies, il y a même des trous, un grand délabrement augure du pire. Ce que l’on prend d’abord pour des draps blancs jonchant le sol s’avère bientôt silhouettes de guerriers affaiblis, fantomatiques. S’opposent désormais Fricka et Wotan, cette dernière, qui arbore sèche allure et babioles superstitieuses, façon Cosima (costumes de Nicola Reichert), arrivant en scène avec deux béliers tenus en laisse – après quoi, Wotan deviendra brutal avec sa walkyrie favorite dont il redoute le rebelle excès de zèle. Sur des cothurnes, baïonnette en main, chevelure éloquente et petite selle fixée sur les reins, Ziv Frenkel compose Grane, le fidèle cheval qui ne quittera plus Brünnhilde. Le dispositif se disloque à vue à l’entrée des amants incestueux, sous un dense ciel de nuages.
Une multitude de paires de bottes blanches jonche toute la scène pour la chevauchée, devant une façade évadée d’une toile de Giorgio de Chirico, avec ses galeries dont l’usage fera immanquablement songer à la Felsenreitschule (Salzbourg). On reconnaît la maquette symbolisant le marché entre les dieux et les géants : nous sommes au Walhalla. Tenant chacun deux paires de bottes, neuf soldats blancs effectuent un pas nerveux et fantasque, fort impressionnant. Au cœur du plateau, un gouffre inquiétant, au bord duquel s’incline la couche qui recueillera le sommeil de la vierge déchue. Le danseur Jochen Vogel, Loge-clown, enflamme le final.
Il ne convainquait point en Fasolt, il ne satisfait pas plus en Hunding. Rúni Brattaberg possède assurément la puissance et l’impact, mais pas la noirceur du rôle ni, ce qui est plus gênant, quelque fiabilité quant à l’intonation. En revanche, Simone Schneider magnifie la partie de Sieglinde. D’abord un rien timoré, son chant la présente douce et peu sonore, mais au fil du premier acte la voix se révèle, loin de la prudence initiale : la couleur est riche, laissant entendre un grave étonnant, très dramatique, et sur ses derniers moments de l’Acte II, elle libère si bien l’instrument qu’elle en donne le frisson [lire notre critique CD de la Grande messe Op.37 de Braunfels]. Pointu, comme il se doit à un personnage qu’habite autant d’agressivité défensive, Simon O’Neill, qu’on applaudissait il y a longtemps à Strasbourg en Sigmund [lire notre chronique du 2 mai 2008], livre un Siegfried vaillant dont l’héroïsme ne ternit pas.
Kathrin Göring ne démérite certes pas en Fricka, mais le timbre est plutôt celui de Kundry, avec un bas-médium rocailleux qui, cela dit, suggère l’haineuse amertume de l’épouse contrariée. On retrouve le baryton-basse Thomas Johannes Mayer, maintes fois apprécié en Wotan. Après un flamboyant duo d’entrée avec Brünnhilde, la voix donne très vite des signes de fatigue. Il retrouve ses moyens pour ses adieux du III, fort émouvants. Quant aux walkyries, elles enchantent ! De Sandra Maxheimer, Gal James et Sandra Fechner, entendues la veille (Siegrune, Gerhilde et Schwertleite), à Karin Lovelius (Grimgerde, hier Fricka) sans oublier Wallis Giunta (Rossweise), Josefine Weber (Helmwige) et Anja Schlosser (Waltraute). L’équilibre des formats vocaux est un élément non négligeable de leur cohésion.
Iréne Theorin subjuguait à Budapest dans Die Walküre puis Götterdämmerung [lire nos chroniques des 13 et 15 juin 2014], elle ne déçoit en rien ce soir, bien au contraire avec sa Brünnhilde subtilement nuancée qu’elle propulse comme sans effort. L’ardente envolée de la voix lorsque le personnage décide de sauver Siegfried et de récompenser l’amour est purement stupéfiante ! L’évidente musicalité à l’œuvre dans son ultime plaidoyer demeurera longtemps en oreille.
À la tête d’un Gewandhausorchester plus remarquable encore avec cette partition offrant de nombreux moments chambristes – saluons la fort belle prestation de Léonard Frey-Maibach au violoncelle – Ulf Schirmer signe une interprétation incisive qui décline l’excès d’expressivité. Il nous fait entrer dans le premier acte par une insistance méthodique plutôt que par quelque esbroufe vite déturgescente. Voilà qui accorde autant de passion au II, éblouissant, et de soin au III.
BB