Chroniques

par irma foletti

Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner

Deutsche Oper, Berlin
- 10 novembre 2021
Donald Runnicles joue "Die Walküre" de Wagner au Deutsche Oper de Berlin
© bernd uhlig

Nous avons moins adhéré à la mise en scène de Stefan Herheim lors de cette première journée du cycle wagnérien, en comparaison du prologue [lire notre chronique de la veille]. On retrouve le thème des valises, celles-ci formant le haut mur en arc de cercle du logis de Hunding, en compagnie de l’inamovible piano placé au centre. L’entame ravit, avec la tempête de neige qui souffle au fond et un vrai chien-loup sortant par le trou du souffleur et traverse le plateau, évoquant la lignée de Wälse. Mais un personnage supplémentaire vient encombrer le tableau, un adolescent dont l’ours en peluche fait penser à Siegfried (après tout, ce héros joue avec son vrai ours dans l’épisode suivant…), mais que la brochure de salle désigne sous le nom d’Hundingling, soit le fils d’Hunding. À titre personnel, on l’imagine né d’un premier mariage, avant son union avec Sieglinde. Quoi qu’il en soit, il est omniprésent au premier acte, menaçant Siegmund de son poignard dès que celui-ci embrasse ou étreint Sieglinde, les menaces des uns et des autres avec ce poignard ou l’épée se multipliant. Parfois, cela se termine comme après un jeu où chacun rit de bon cœur. Cette présence rompt la magie du tête-à-tête entre les jumeaux, même si les effets scéniques sont efficaces, comme Siegmund qui s’élève dans les airs sur le piano tournant pendant son monologue, ou le drap qui sort de l’instrument, s’installe en forme d’arbre et reçoit les belles projections vidéo de William Duke et Dan Trenchard.

Le deuxième acte démarre avec Wotan qui rentre au bercail en caleçon, les jumeaux dormant sur le piano. La scène finale du combat entre Siegmund et Hunding est déjà jouée et la foule aux valises est assemblée autour, diluant par moments la densité dramatique des confrontations. Des images déjà vues reviennent, comme Wotan au clavier mimant la musique, la partition qui circule de main en main, ou encore la lumière qui s’allume dans la salle dès que Wotan prononce Das Ende, das Ende dans sa longue confession à sa chère Brünnhilde, pour ne s’éteindre qu’au début de la dernière scène. L’Acte III commence aussi lumières allumées, des walkyries en tenue de ville surprises en pleins ébats amoureux avec huit héros réputés morts. On les cache précipitamment sous des draps pour la chevauchée, on arrache des pages à la partition pour tenter de déchiffrer la musique, en donnant aussi quelques indications de mise en scène. La suite est plus classique, mis à part le baiser à pleine bouche entre Wotan et Brünnhilde – décidemment, après l’inceste entre les jumeaux, voici celui entre leur tante et leur père à tous, ainsi que l’image finale de Mime-Wagner accouchant Sieglinde en direct sur le piano.

La partie vocale est aussi moins cohérente que la veille, souffrant surtout du déséquilibre dans le couple des Wälsungen. Si la Sieglinde d’Elisabeth Teige est absolument rayonnante, avec une belle voix ronde, de grande ampleur, et frémissante, quelle que soit sa position (debout, allongée), il n’en va pas exactement de même du Sigmund de Brandon Jovanovich. On remarque rapidement ses graves qui graillonnent régulièrement, pour devenir de plus en plus discrets, voire inaudibles pour certains. Le ténor ne possède pas vraiment le rôle dans ses cordes vocales, même s’il se montre vaillant dans la partie supérieure du registre, avec ses « Wälse, Wälse » longuement tenus [lire nos chroniques de Jenůfa, Lady Macbeth de Mzensk à Zurich et à Salzbourg, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Lied von der Erde, La dame de pique, Les Troyens et Wozzeck].

Fafner la veille, Tobias Kehrer impressionne à nouveau en Hunding, de son grave abyssal. En revanche, Wotan a changé pour Iain Paterson, doté d’un grain riche et racé de baryton, qu’on entend parfois émettre quelques sonorités assez nasales [lire nos chroniques de Das Rheingold, Billy Budd, Götterdämmerung, Tristan und Isolde et Siegfried]. On retrouve la véhémente Fricka d'Annika Schlicht, dotée d’une grande projection et dont certains graves, généreusement poitrinés, régalent. Mais celle qui dépasse en puissance l’ensemble du plateau est l’inoxydable Nina Stemme en Brünnhilde, par son chant d’un impact considérable, sans grande trace d’usure et accompagné d’un vibrato extrêmement réduit. Prises séparément, chacune des huit walkyries ne séduit pas particulièrement l’oreille, mais l’ensemble sonne vigoureusement.

Dirigée par Donald Runnicles, la musique est un nouvel enchantement, de l’ensemble des cordes aux pupitres de cuivres, y compris ceux en coulisses pour le combat conclusif du deuxième acte. Les solos sont aussi impeccables, dont on retient en premier lieu ceux du violoncelle et du cor anglais.

IF