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Chroniques
Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner
L’aventure du nouveau Ring bayreuthien se poursuit dans un encombrement jugulé, cette fois, le dispositif scénique imaginé et réalisé par Andrea Cozzi pour la proposition de Valentin Schwarz déplaçant ses alcôves pour représenter la hutte d’Hunding dont un souvenir de véranda accueille les racines sacrées en ses vitres brisées. Bien que s’écartant largement de l’originale, l’histoire racontée par le metteur en scène paraît tenir un peu plus la route que son Rheingold traversé par un puissant souffle déconstructiviste dont menace la cuisante stérilité [lire notre chronique de la veille]. Dans les entrelacs troubles de la famille, on s’interroge sur le géniteur de l’énorme ventre arboré d’emblée par Sieglinde, dès sa rencontre avec Siegmund. Si c’est d’Hunding qu’elle porte la progéniture, ce Ring se fait incohérent. À la faveur d’un geste quelque peu intrusif de Wotan, son père, on suppose qu’il a lui-même engendré le futur Siegfried. Outre de chercher l’un et l’autre leurs origines dans les cadres cloués sous le tableau électrique, les rivaux s’opposeront au revolver, selon une actualisation dont déjà l’on sait qu’elle ne pourra tenir longtemps sur ce point précis de détail.
L’acte suivant accueille les walkyries dans la villa de Fricka et Wotan, autour du cercueil fleuri et du portrait de Freia, funérailles imminentes, ce qui engendre un défilé de lamentations forcées, plutôt drôle. On retrouve la pyramide lumineuse dans son bloc de verre, ainsi que sa réplique grandeur nature, à gauche du salon, construite sur les rochers. C’est par ses fondations que les amoureux s’infiltrent – car le combat aura lieu au Walhalla, c’est plus simple, au fond. Et c’est aussi couverte de l’étole portée hier par Freia que met bas la parturiente. Au dernier chapitre, après la désobéissance de Brünnhilde et l’exécution de Siegmund par leur père, on retrouve l’enceinte de la fabrique de jouets du prologue, ici salon d’une clinique esthétique où les walkyries, dûment emballées, attendent que cicatrisent les plaies promettant de les rendre jeunes et belles pour l’éternité. Loin de la solidarité protectrice habituelle entre sœurs, celles-ci se trouvent cacher involontairement la coupable qu’elles dénoncent au furieux. Victorieuse, Fricka amène une bonne bouteille pour trinquer avec Wotan face à la pyramide qui abrite maintenant la vierge punie sur laquelle veille le fidèle Grane, incarné par un élégant chevelu (Igor Schwab). Pour le quinquagénaire aigri, il est temps de coiffer le chapeau du Wanderer – celui que portait Brünnhilde elle-même à l’acte précédent – et de quitter un port alors abhorré.
Moins directement déroutante que le prologue, cette première journée du Ring n’est point huée. Le public a donc trouvé un chemin pour s’y repérer quelque peu. Surtout, c’est la partie musicale qui fait passer la soupe ! Car le plateau vocal est simplement exceptionnel, alors peu importe ce qui se passe sur scène. S’y fait entendre un octuor de choc, avec Kelly God (Gerhilde), Brit-Tone Müllertz (Ortlinde), Stephanie Houtzeel (Waltraute), Christa Mayer (Schwertleite), Daniela Köhler (Helmwige), Nana Dzidziguri (Siegrune), Marie Henriette Reinhold (Grimgerde) et Katie Stevenson (Rossweisse). Peu coutumier des rôles de méchants, Georg Zeppenfeld apporte une humanité plus nuancée que de coutume à Hunding, par la présence scénique comme par la grâce de la ligne de chant. Lui répond un Siegmund de grande tenue, Klaus Florian Vogt affirmant aujourd’hui un murissement positif de la voix et de la technique, sans compter une forme sans doute avantageusement ménagée par les circonstances particulières que connut la scène lyrique depuis mars 2020. La précision de l’intonation est stupéfiante, la facilité de l’émission plus encore, d’une souplesse indicible. Tout en prêtant la voix à l’une des walkyries, l’excellente Christa Mayer poursuit avec succès son investigation fructueuse du rôle de Fricka. Brünnhilde ici et là depuis plusieurs années déjà, Iréne Theorin semble un rien fatiguée dans la présente incarnation, probante à l’Acte II mais nettement moins au III. Avec ses vastes moyens, dont l’infatigable phrasé et l’art de la nuance ne sont pas des moindres, Lise Davidsen campe une Sieglinde plus que convaincante. Enfin, le baryton-basse polonais Tomasz Konieczny signe un Wotan bouleversant dont les adieux pourraient à eux seuls faire la réussite de la soirée.
Indéniable wagnérien, grand chef à l’opéra comme au concert, dans le répertoire comme dans la musique d’aujourd’hui [lire nos chroniques de La Passion de Simone, A tearing of vision, Symphonie Écossaise, La source d’un regard, Sinfonie der Tausend, Parsifal, Trois aquarelles, Lohengrin et Der Prinz von Homburg], Cornelius Meister met le feu par les tempi endiablés de sa lecture, d’une vivacité confondante.
BB