Chroniques

par katy oberlé

Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner

Deutsche Staatsoper Unter den Linden, Berlin
- 30 octobre 2022
à Berlin, Dmitri Tcherniakov signe le nouveau Ring "Unter den Linden"...
© monika rittershaus

Après une journée de route et une soirée calme dans un bon restaurant, nous découvrions hier le Prologue du nouveau Ring berlinois [lire notre chronique de la veille]. Ce dimanche, retrouvons la belle façade rose d’Unter den Linden pour aborder le même mois le second des géants musiciens du XIXe siècle : Richard Wagner, contemporain de Giuseppe Verdi [lire nos chroniques des 6, 8 et 9 octobre 2022].

Pendant le prélude, une vidéo d’Alexeï Polouboïarinov montre un meurtrier qui s’échappe d’un lieu de détention. On prévient le spectateur du grand danger que représente ce criminel très agressif dénommé Siegmund. La lumière se fait avec l’arrivé du fugitif dans un appartement modeste que Dmitri Tcherniakov a ménagé dans son grand dispositif scénographique qui concentrera, on l’a bien compris, la totalité de la Tétralogie. Bienvenu à l’Institut de recherche scientifique E.S.C.H.E., donc ! Le maître du Walhalla, Wotan, a pris place dans son bureau d’où il observe ce qui se passe dans l’appartement duquel il n’est séparé que par une large vitre. Les objets de l’expérience ne sont autres que Sigmund, détenu en fuite, et un autre assassin qui, armé jusqu’aux dents et en costume de flic, participe du côté de l’autorité à l’étude comportementale, au lieu de purger sa peine en prison. La mise en scène n’est pas explicite quant au caractère de Sieglinde, envisagée comme une sorte d’autiste brutale, à l’instar des deux hommes. Avant d’aller se perdre dans le sous-sol du laboratoire, parmi d’innombrables cages d’animaux vivants stockées là pour la vivisection, le couple incestueux prend le soin de vider le réfrigérateur et de rassembler les vêtements qui pourraient leur être nécessaires.

Le deuxième acte est donné dans la vaste salle de conférence très RDA. Fricka et Wotan luttent quant à l’avenir du héros Siegmund face à Hunding. On le sait : le patron cède à bobonne : dans une lumière presque cérémonieuse, l’arrêt de mort du premier est dûment prononcé. Un duel s’ensuit-il ? Pas vraiment… Ce soir, Hunding ne tue pas son rival, qui est aussi son ennemi héréditaire : une poignée d’agents de sécurité se saisissent de Siegmund et le battent à mort. L’expérience terminée, Wotan ne prend même pas la peine d’éliminer son agent qui s’en va, sans plus. Au III, les walkyries rigolent entre frangines dans la grande pièce où leur père fait une incursion fracassante, balançant les chaises de-ci de-là. Après qu’il l’a condamnée, la rebelle Brünnhilde l’aide à placer les mêmes chaises en amphithéâtre et, à l’aide d’un crayon-feutre, y dessine de grosses flammes rouge : ainsi tourné en dérision, le cercle de feu protecteur fait ricaner le public. C’est dommage, car les adieux de Wotan sont le plus beau moment de la soirée, couronné par un baiser interminable et bouleversant.

Nous voilà un peu plus avancés qu’à l’issue du Rheingold, c’est certain. Outre le mouvement fascinant des espaces de jeu dans ce grand décor, quel attrait présente la mise en scène de Tcherniakov ? Sans doute la suite nous éclairera-t-elle quant à l’intérêt d’avoir placé Der Ring des Nibelungen dans un institut de recherche comportementaliste et une pensée plus profonde nous sera-t-elle alors révélée, mais, pour le moment, la traduction systématique des ingrédients de la dramaturgie dans cet univers claustrophobe à l’esthétique globalement moche est par moments assez agaçante, il faut le dire.

Une nouvelle fois, c’est la fosse qui transcende la représentation. Dans le même souci du détail qu’hier – son Rheingold a duré environ cent dix minutes, c’est beaucoup et pourtant c’est passé comme lettre à la poste –, Christian Thielemann, qui remplace Daniel Barenboim initialement programmé et à l’origine du projet, soigne l’équilibre et chaque détail, favorisant un accent toujours romantique dont la plasticité étonnante nous fait dire qu’il ne s’agit plus d’une interprétation mais d’une célébration, un rite dans lequel il engage l’excellente Staatskapelle Berlin avec une ferveur particulière qui emporte l’adhésion. Il signe une Walküre magistrale, ne traduisant pas l’intensité de l’œuvre dans une urgence de tempo mais dans la densité du son et la conduite, à la fois inventive et cohérente, de la nuance. On en redemande !

Contrairement au Prologue, la première des trois journées du Ring est plutôt bien pourvue en vocalité. Michael Volle campe un Wotan nettement moins monolithique dont la nuance amène une humanité intéressante. Glissant de l’identité du géant belliqueux à celle du meurtrier coopérant, la basse Mika Kares impressionne beaucoup en Hunding effrayant, tant pas le coffre, la couleur de la voix et la perfection du chant. Robert Watson prête à Siegmund ce qu’il faut de vaillance et d’éclat, le soprano lituanien Vida Miknevičiūtė lui donnant la réplique en soignant délicatement l’émission. On retrouve la Fricka de Claudia Mahnke, plus musicale encore, et impérative, avec des fulgurances tellement évidentes ! Enfin, grand succès pour la Brünnhilde généreuse d’Anja Kampe. Rendez-vous dans trois jours pour Siegfried !

KO