Chroniques

par marc develey

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

ANO / Théâtre d’Angers
- 18 février 2006
Thomas Oliemans en Papageno à Angers (ANO)
© vincent jacques

Toute mise en scène de Zauberflöte se trouve confrontée aux contrastes d'un livret foisonnant où le magique le dispute au prosaïque, la simplicité du merveilleux aux replis du symbolisme, l'exaltation des épreuves de la vertu à l'apologie des plaisirs de l'existence. La palette des adaptations scéniques d'une œuvre aussi plastique étant aussi large que l'imagination du metteur en scène, toute nouvelle production est dès lors investie du plaisir anticipé de la découverte d'un monde nouveau.

À ce titre, on pourrait bien être déçu de la toute récente livraison d'Angers Nantes Opéra. Les effets dont Patrice Caurier et Moshe Leiser usent tableaux après tableaux sont reliés entre eux moins par ces répons dont on bâtit un univers que par de lointaines correspondances dont il appartiendrait au spectateur de reconstituer la cohérence. Ainsi de la monstrueuse tête de serpent et des animaux attirés par la flûte de Tamino, ou encore du cheval de bois des Trois Enfants et de l'ours en peluche qui leur sert à guérir Pamina du suicide, comme des motifs de disque et de pyramide dans le temple de Sarastro, de la grisaille des costumes des servants du temple et des bigarrures de ceux des Trois Dames, etc. Quelque chose d'un jeu d'oppositions est ainsi préservé, mais apparemment sans autre fil directeur qu'un certain kitsch fait d'effets de lumières et d'explosions, d'objets animés et de personnages volants, de fumées et d'ouvertures de trappes. Pas de lecture savante, donc, mais peut-être, dans cette vision plus composite qu'organique, une fidélité à la construction du livret, incohérent, excessif, parfois labyrinthique ; ou encore à l'esprit d'un certain théâtre populaire qui privilégierait l'efficacité d'un effet au détriment de la continuité de lecture.

Faut-il y voir une conséquence ?
La magie n'est paradoxalement pas au rendez-vous. Si l'on ne s'ennuie guère, nul transport ne nous emmène pour autant dans le monde qu'on espérait. De belles trouvailles, certes – la prière au début de l'Acte II, ou le tableau final où le couple nouvellement initié se détache en ombre chinoise devant le disque solaire qui les auréole – restent entrecoupées de maladresses – objets volants de façon saccadée, Sarastro monté sur échasses ayant à se pencher jusqu'au sol pour y déposer un objet, etc. –, et de toute façon trop isolées pour qu'on puisse espérer voir se profiler un quelconque ailleurs de la scène.

Qui plus est, les chanteurs ne nous offrent bien souvent un jeu que très en deçà de leurs rôles. En cela, Marcel Reijans (Tamino) porte une lourde responsabilité : les mouvements sont heurtés, les déplacements artificiels et les mimiques outrées. L'insuffisance de sa formation dramatique lui interdit de jamais rencontrer son personnage, ce qui est d'autant regrettable que la voix, généreuse et d'une grande homogénéité – peut-être un brin serrée dans les forte en début de premier acte (Dies Bildnis) – nous vaut de beaux moments de musique. Est-il étonnant que face à son amant, Pamina n'ait de gestes que convenus et sans réelle émotion, alors que bien plus touchante s'avère sa première rencontre avec Papageno ? Cela dit, la confrontation avec sa mère, Reine de la Nuit incarnée par Burcu Uyar, n'est guère plus convaincante : ce sont deux sœurs qui s'affrontent en un florilège de poses conventionnelles et sans âme où toute relation de filiation est perdue. Peut-être aurait-on pu accentuer l'ambiguïté qu'à l'instar de ses trois suivantes la Reine entretient à l'égard de Tamino ? Las, tout érotisme est ici moins suggéré qu'esquissé et immédiatement évité et reste aussi inachevé que les rapports des personnages les uns avec les autres.

Thomas Oliemans (Papageno), seul ou presque, réussit à nous toucher, et avec quel talent ! Outre un chant impeccable, clair, bellement projeté, chargé de toutes les émotions du personnage le plus densément vivant du livret, il donne à la scène l'énergie d'un jeu fluide, dynamisé par un réelle verve comique – en particulier, son duo final avec une Papagena annoncée souffrante mais rayonnante de drôlerie dans son rôle de vieille oiselle, est un très joyeux moment de légèreté. Autre bonne surprise : Eric Owens incarne en Sarastro un simple pasteur plus qu'un prêtre hiératique, troublé par la déraison des non-initiés et non exempt lui-même de certaines de leurs passions, fût-il capable de les maîtriser.

Fort heureusement, la musique rattrape en partie les défauts de la direction d'acteur. Si l'Orchestre National des Pays de la Loire ne parvient pas toujours à soutenir le chant avec suffisamment d'allant ou de netteté, la direction de Steven Sloane peut, ici et là, lui faire trouver le chemin de quelques belles pages de musique. L'ouverture, en particulier, dans une interprétation précise et chantante insistant sur la lisibilité des plans sonores, rend un très bel hommage à l'orchestration de Mozart.

Les voix, quant à elles, sont dans l'ensemble fort convaincantes.
Marie Arnet sert sa Pamina d'une voix pleine et claire, déployant une belle tendresse dans le duo avec Papageno ou un très sobre désespoir lorsqu'elle se sent abandonnée (Ach, ich fühl's superbe). Virginie Pochon (1ère Dame) sert le trio des Dames d'un timbre clair, brillant de vivacité et d'insolence. Burcu Uyar campe une Reine de la Nuit colérique et manipulatrice ; ample dans le registre médian, sa voix présente quelques faiblesses dans le suraigu, mais ce qui nuit à ses vocalises lui permet d'incarner un personnage ne manquant pas de consistance et son air de colère, en particulier, est vibrant de fureur. Le Sarastro d'Eric Owens présente en miroir des faiblesses d'émission dans les graves (O Isis und Osiris), largement compensées par la générosité de son timbre ; In diesen heil'gen Hallen est un beau moment de paix, auquel contribuent tout autant chanteur et orchestre. Parmi les seconds rôles, Marc-Olivier Oetterli, l'Orateur, est excellent.

L'ensemble demeure sympathique et, si l'on reste sur sa faim, quelque chose comme le souvenir maladroitement raconté d'une scène d'enfance nous est pourtant donné, morcelé et imparfait, mais néanmoins touchant.

MD