Chroniques

par gilles charlassier

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Grand Théâtre, Genève
- 28 décembre 2015
Gergely Madaras joue Die Zauberflöte de Mozartà Genève
© carole parodi

Dernière production au Grand Théâtre avant deux ans de fermeture pour rénovation de la salle genevoise place Neuve, Die Zauberflöte a d'abord failli prendre l'eau quand, il y a un mois, le projet de Günter Krämer initialement prévu fut retoqué au profit d'une production de Jürgen Rose importée de Bonn, ici reprise par Mark Daniel Hirsch. À l'aune de ce que l'on sait du metteur en scène d’abord programmé, sa proposition aurait été jugée trop iconoclaste pour les fêtes de fin d'année (selon nos informations). On se console avec le travail très scénographique de celui qui a, entre autres, collaboré avec les chorégraphes John Cranko et John Neumeier pour lesquels il dessina décors et costumes – Oneguine et La dame aux camélias, par exemple.

Derrière un rideau noir à l'emblème d'une sphère de symboles mêlant naïveté populaire, formes à la Miró et indices maçonniques, sa lecture de l'ultime Singspiel de Mozart se distingue par une franche lisibilité illustrative, sans négliger d'adapter discrètement les dialogues à la réalité scénique – les yeux et cheveux bruns de Pamina. Les voiles rouges du monde illusoire de la Reine de la nuit s'évanouissent dans le temple de Sarastro, tapissé de glyphes, où le jaune dominant (la lumière) trouve avec le noir un contrepoint d'ombre qu'en d'autres circonstances l'on jurerait parfois daltonien. La dialectique manichéenne fonctionne habilement, jusque dans le complot final où les imposteurs se dissimulent sous les chamarres de sages. Couleurs et divertissement prennent sans doute le pas sur l'édification initiatique, sans omettre une réconciliation finale – et filiale – des rivaux et le relais des générations. La Reine de la nuit transmet la couronne à sa fille tandis que Sarastro enveloppe les amants de sa cape de Lumières : on reconnaît là une matrice de la réflexion mozartienne dont Idomeneo constitue un avatar archétypal [lire nos chroniques du 15 juillet 2009, des 30 novembre et 22 août 2006, enfin du 23 mars 2004].

À l'exception de Tom Fox en Officiant émérite, quoique solide, et, dans une moindre mesure, le Monostatos enlevé de Loïc Félix, les deux distributions consacrent la jeunesse. Seconde dans l'ordre chronologique, mais probablement pas dans celui du mérite, celle de ce lundi soir fait entendre le Tamino incontestablement idiomatique de Stanislas de Barbeyrac [lire nos chroniques du 11 juillet 2014 sur sa prise de rôle aixoise, et celles du 22 mai 2015 et du 6 octobre 2011, par ailleurs]. Nonobstant de possibles stigmates hivernaux des brouillards du lémaniques, le ténor français répond à la réputation qu'il s'est légitimement forgé dans un répertoire dont il maîtrise l'équilibre entre souplesse et vaillance, pudeur et sentiment dans la ligne vocale. Pamina aux harmoniques plus riches et métissées que de coutume, Pretty Yende séduit par sa fraîcheur.

Svetlana Moskalenko réserve une Reine de la nuit bien accrochée, quand Jeremy Milner étale l'opulence un rien caverneuse de son Sarastro – remarquable Hagen ici-même [lire notre chronique du 26 avril 2014]. Salué dans Händel [lire notre chronique du 21 août 2009], Andreas Wolf n'économise guère la spontanéité de Papageno, à laquelle ne résiste pas la pétillante Papagena d'Amelia Scicolone, membre de la troupe des jeunes solistes en résidence, à laquelle appartient également le second homme d'armes, Alexander Milev. Mentionnons encore le trio de dames – Emalie Savoy, Inès Berlet et Lindsay Ammann – ainsi que celui des garçons, puisé dans le Zürcher Sängerknaben. Préparé efficacement par Alan Woodbridge, le Chœur du Grand Théâtre de Genève (dont les effectifs fournissent esclaves, prêtres et hommes d'armes) remplit son office. À peine trentenaire, le jeune chef hongrois Gergely Madaras fait respirer sagement le classicisme juvénile de l'Orchestre de la Suisse Romande.

GC