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Chroniques
Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Il y a quarante ans, Voyager 1 quittait la Terre pour réussir l'inimaginable percée, unique à ce jour, d'une sonde jusqu'à l'extérieur du système solaire. Filant aujourd'hui encore, et pour peut-être quelques années supplémentaires, en milieu interstellaire, l'engin à succès de la NASA collecte toujours des données. De moins en moins, certes, mais dans quarante mille ans environ, il sera à relative proximité d'une autre étoile, de façon à pouvoir apporter à un extra-terrestre attentif, sinon curieux, le Voyager Golden Record, c'est-à-dire un vidéodisque hommage à l'humanité, qui comprend notamment vingt-sept extraits musicaux. Gravé sur le bolide spatial le 16 juin 1977 (date de naissance de votre serviteur), un mot d'explication du président Carter donnerait presque le sens du joli cadeau, voire de la vie : « nous essayons de survivre à notre temps, pour que nous puissions vivre dans le vôtre ». Enfin...
Remarquons que la suprême compilation, œuvre d'un petit comité présidé par l'astrophysicien Carl Sagan, ne retient qu'un seul air d'opéra, à savoir le sidérant Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen poussé par la Königin der Nacht au second acte de Die Zauberflöte de Mozart (1791). Belle, immense intention mozartienne qui croise telle autre, en ce début novembre à Limoges : une nouvelle production du même opéra, représenté de manière futuriste. « C'est une Flûte enchantée d'après l'apocalypse. Une catastrophe climatique s'est abattue sur la terre... Plus de faune, ni de flore : les animaux que l'on voit surgir, attirés comme un appeau par la flûte enchantée donnée à Tamino, ne sont que des humains commémorant le règne animal, revêtus de parures faites de tout et de rien. » Bienvenue, donc, à ce nouveau, grand imaginaire ainsi présenté dans les notes du metteur en scène David Lescot qui, à partir de l'immense Singspiel populaire, signe une proposition inventive et surprenante, avec du théâtre là où on ne l'attend pas. Par exemple, prologue et épilogue en vidéo tracent avec jeunesse, sagesse et gourmandise une intéressante parabole écologiste.
La scène est le lieu de vie d'interprètes à la fois chanteurs, comédiens et acteurs, c'est-à-dire bien dans notre temps, tandis qu'en contrepartie, les références à la franc-maçonnerie sont délaissées pour leur côté désuet. Alwyne de Dardel réalise une impressionnante scénographie, fidèle au livret (plutôt au premier acte, au climat désertique), mais aussi fort créative (plutôt au second, dans un centre commercial dévasté). Donnant le ton général de malice moderne, les costumes souvent bariolés de Mariane Delayre respectent la typologie des personnages (ainsi le prince Tamino, effectivement habillé pour paraître « charmant, doux et beau ») et jouent plaisamment de l'art-récup', de manière parfois spectaculaire – la gigantesque robe de sacs plastique de Papagena !
Une ambiance comique assez bon enfant plane sur l’opéra où les voix gardent une place prépondérante. Tous les personnages trouvent grâce, que ce soit le Papageno, baryton buffo typique du XVIIIe siècle, de Klemens Sander, le Monostatos sournois et finalement drôle de Mark Omvlee, le Sarastro aux accents durs et au beau timbre du New-Yorkais Dashon Burton ou la Papagena émoustillée de Camille Poul. Princesse vedette à Berlin et à Londres, Siobhán Stagg maîtrise tout Pamina, et en particulier ses mélodies. Son amoureux, finalement uni à elle dans un couple crédible, est le très agréable Tamino de Tuomas Katajala, qui se montre ferme, nerveux et romantique, notamment pour un air du portrait aussi beau que la lune rose alors de sortie. Issus de la Maîtrise de Caen, les Trois Garçons apparaissent, quant à eux, pleins d'allant, d'espoir et de charme naturel, à l'opposé des trois brûlantes harpies, aguicheuses dans le chant et le vêtement cuir bordeaux coupé court, avec un caractère propre à chacune – Sophie Juncker gracieuse, Emilie Renard plus énervée et Eva Zaïcik davantage éloquente. Enfin, encore ravissante dans les vocalises, Jodie Devos réussit sa prise de rôle de Reine de la nuit, bien qu'en accusant, au soir de la première, un léger manque de puissance.
Le Chœur et l'Orchestre de l'Opéra de Limoges, respectivement dirigés avec succès par Jacques Maresch et Christophe Rousset (dès l'Ouverture, galvanisante), s'affirment encore plus lyriques, harmonieux, merveilleux, majestueux... Que de bonnes sensations, donc, chez nous, dans la galaxie de Mozart !
FC