Chroniques

par françois cavaillès

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Festival Castell Peralada / Auditori Parc del Castell
- 6 août 2018
Josep Pons joue Die Zauberflöte au Festival Castell Peralada
© toti ferrer

Quel opéra ! Et quel monde (moins honorable) nous dévoile-t-il !... La flûte enchantée se présente comme le récapitulatif de tout le chaos, la jubilation et la paranoïa autour de Mozart en 1791. Année folle d'intenses et sublimes créations du maestro, de lâche fuite de Varennes aussi, pour les uns, marquant la chute libre du régime monarchique en France, ou de fastueux couronnements pour les autres, tel le roi de Bohème à Prague, mais encore période de morts soudaines et mystérieuses – à Paris, près de l'Opéra, Mirabeau dans la rue qui portera son nom, en route pour le tout nouveau Panthéon, tandis qu'à Vienne, l'inégalable compositeur disparaît à trente-cinq ans et, au grand dam de l'humanité, quelques mois avant le trépas de Leopold II qui porte un coup terrible à l'Autriche et annonce la fin du Saint-Empire.

Représenter tout cela de nos jours en prolongeant encore plus loin l'ultime geste lyrique de Mozart demande des moyens importants, ce que le Festival Castell Peralada a prévu en confiant sa nouvelle production à un solide plateau vocal, de niveau international, et au metteur en scène catalan Oriol Broggi, étoile montante du théâtre d'auteur lancée à la découverte de l'opéra. Mais la matière artistique, si riche qu’elle soit – même si l'on a de plus en plus tendance à occulter les mentions de franc-maçonnerie [lire notre chronique du 5 novembre 2017] – comporte aussi le risque du pensum scénique, voire du jus de cerveau jeté sans la confiance et la bienfaisance chères au musicien et son complice librettiste, Emanuel Schikaneder, puisant à une seule source d'après la brochure de salle, à savoir le conte allemand Lulu oder die Zauberflöte d'August Jacob Liebeskind (1758-1793), lui-même influencé, entre autres, par Les mille et une nuits propagées à travers l'Europe au début du siècle par Antoine Galland.

À grand recours de vidéo, et ce dès l'Ouverture allègre et légère, de toute beauté, grâce à l’Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu dirigé par Josep Pons, le spectacle remue d'image en image, extraites pour la plupart de La divine comédie de Gustave Doré illustrant Dante. À travers un large espace plutôt dénudé, l'austérité est privilégiée en introduisant, parmi des chaises vides, des personnages vêtus de couleurs sobres et unies. Ainsi les trois Dames semblent-elles porter le deuil, à l’encontre des voix angéliques, offertes au public comme un élixir de jeunesse, des soprani Anaïs Constans et Mercedes Gancedo, ainsi que du mezzo Anna Alàs. Aux premiers airs, pourtant, un tempo très lent est de mise.

À défaut d'incarner un séduisant prince Tamino, suivant la grande économie dramatique du spectacle, le ténor Liparit Avetisyan montre une diction soignée et la passion de circonstance justement timbrée dans Dies Bildnis ist bezaubernd schön [lire notre chronique du 16 juin 2018]. À son entrée, l'oiseleur pâtit de mollesse musicale et de l'abstraction générale des motifs, déposant vite ses cages pour paraître simplement courtois, tel l'homme moderne, moins acteur que passif. Le théâtre contemporain attrape vite ce Papageno plus comédien que chanteur, bien tenu par le baryton Adrian Eröd [lire nos chroniques des 16 novembre et 14 août 2014]. Pris à partie par un vieux narrateur, l'insensé évolue prostré en fond de scène, très possiblement irresponsable, l'esprit peut-être dérangé mais pétri de naturel.

L'intérêt de cette conception originale de Die Zauberflöte semble résider dans l'insolence bien humaine, même divagante, plutôt que dans l'habituel conte initiatique de Tamino et Pamina. Toute aussi terre à terre, et sans concession à l'esthétique du merveilleux, s’avère l'apparition de la Reine de la nuit. Le soprano Kathryn Lewek concilie lyrisme, amplitude et charisme pour répondre aux attentes de la fameuse colère, si rafraîchissante dans la tiédeur ambiante. À sa sortie, on imagine surtout l'heureux événement imminent pour le jeune soprano originaire du Connecticut [lire notre chronique du 22 août 2017].

Plus l'idéal de fraternité se fait discret sur scène, plus délicats paraissent les divins éclats de l'orchestre, ainsi dans l'excellent quintette de l’Acte I. Vivons encore en plein rêve, confiants que l'ordre ou le désordre du monde pourrait dépendre du cœur de l'homme... Au récitatif suivant, ce bel esprit perdure et regorge même dans la fosse, mais également dans la verve, l'émotion et la clarté de Pamina, très habile prise de rôle du soprano Olga Kulchynska [lire notre chronique du 13 décembre 2017], face au Monostatos un peu éreinté de Francisco Vas. Si la lumineuse Papagena de Júlia Farrés constitue une surprise revigorante, Sarastro, campé par la basse Andreas Bauer, porte mal la toge autoritaire, ses sermons grinçant aux oreilles. L'assemblée solennelle des prêtres forme un intéressant cadre politique, même en numérique, grâce aux jeux de lumières changeants d’Albert Faura, sans craindre l'obscurité, puis en rasant latéralement les visages des protagonistes.

Finalement, en savourant tout du long la galerie de tableaux romantiques ou expressionnistes disposée par le vidéaste Francesc Isern, saluons en particulier du Cor del Gran Teatre del Liceu le superbe effet pyramidal au final du premier acte qui ravive l'admirable mystère, jadis oriental, d'une œuvre toujours fascinante... et bienvenue sous les grands arbres des jardins de Peralada.

FC