Chroniques

par isabelle stibbe

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse
- 5 janvier 2007
Die zauberflöte à l'Opéra-Théâtre d'Avignon, en 2007
© acm studio

Le film de Kenneth Branagh, en transposant Die Zauberflöte dans la Première Guerre mondiale, relançait récemment la question du réalisme dans la mise en scène. Il n'est pas sûr qu'une œuvre telle que La Flûte y soit propice – le succès mitigé du film semble le confirmer. Véritable conte de fée, l'allégorie du dernier opéra de Mozart (bien contre mal, sagesse et connaissance contre superstition et obscurantisme) est, du fait de son manichéisme, suffisamment simple, explicite et universelle pour se passer de tout réalisme. À force d'être détourné de ce qu'il est (féerie, fable), l'opéra devient maladroitement appuyé et perd incontestablement de sa force poétique. À l'inverse, privé de sa symbolique maçonnique, composante essentielle d'une œuvre écrite par un musicien au faîte de sa maturité intellectuelle, il perd de son rayonnement spirituel.

Ce n'est certainement pas le cas de la production donnée à Avignon dans la mise en scène de Robert Fortune. Cet habitué du merveilleux (Hänsel und Gretel de Humperdink, Cendrillon de Massenet, etc.) revendique n'avoir pas choisi entre le conte de fées et l'oratorio maçonnique.

La réussite de sa mise en scène ne peut que lui donner raison. Aucun réalisme, donc : Monostatos n'est pas noir, son visage est peint en noir, à mi-chemin entre le masque de clown et le masque africain, le lit de Pamina est forcément à baldaquin, comme dans les rêves des petites filles, l'arbre auquel veut se pendre Papageno est peint, déployant son ramage stylisé à la façon d'ombres chinoises. La dimension féerique est soutenue par les costumes originaux et colorés de Françoise Chevalier qui mélangent les styles et les influences (culottes bouffantes et turbans des trois Dames évoquant l'univers de L'Enlèvement au sérail, chapkas des trois Enfants, animaux à la Bob Wilson), ainsi que par les lumières très habitées de Jean-Michel Bauer. Quant aux références maçonniques, elles éclatent au deuxième acte, rendant l'initiation de Tamino particulièrement impressionnante. Après la marche solennelle des prêtres, le jeune homme, cerné par des panneaux noirs, se retrouve face à un crâne humain et une bougie. On ne peut évoquer plus clairement le cabinet de réflexion dans lequel est plongé tout profane au seuil de son initiation maçonnique.

Intelligente, aboutie, cette réalisation aurait gagné à réunir une distribution plus homogène. Gilles Ragon se révèle décevant en Tamino, notamment dans le premier acte où il chante trop en force et avec une fâcheuse tendance à nasaliser. Thomas Dolié apporte sa jeunesse et sa fraîcheur à Papageno, mais le timbre assez banal manque de vaillance et le jeu est trop répétitif. Anna Skibinsky est une Reine de la nuit qui semble atteinte de léthargie, aussi bien scéniquement que vocalement : les contre-fa du deuxième air sont faux et les doubles croches précédant les contre-uts systématiquement savonnées. La jeune Karen Vourc'h, qui interprète Pamina, possède un matériau vocal superbe qui laisse cependant apparaître quelques défauts (attaques peu franches, trop grande ouverture de la bouche provoquant une dispersion du son). Rien à redire en revanche de Wojtek Smilek, bouleversant et subtil Sarastro tout en musicalité, sobriété et noblesse.

Le jeune chef Tomáš Netopil (il n'a que trente-et-un ans) dirige la partition avec fougue et l'éclaire de sa présence lumineuse. On aurait aimé que la palette sonore de l'Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence soit plus chaude et colorée, mais l'ensemble est d'un bon niveau.

On ne saurait conclure sans évoquer les traits d'humour de cette production : la bouteille de Châteauneuf du pape – Avignon oblige – brandie par Papageno, les feuilles d'arbre roses et vertes qui s'allument une à une, découvrant en leur centre le portrait d'enfants... les futurs petits Papagno et Papagena ! Et puis, la surprise ultime : à la fin, les saluts sont interrompus par Pamina qui s'avance seule sur scène. D'un doigt pointé vers le rideau baissé au tiers, elle réclame l'attention du public. Un silence intrigué s'installe. La jeune femme montre alors la maisonnette installée depuis le début devant la fosse. Elle en soulève le toit : apparaît une figurine de Mozart. La poupée mécanique s'anime, s'abaisse pour saluer. Les rires fusent, les applaudissements redoublent, laissant le spectateur enchanté.

IS