Chroniques

par isabelle stibbe

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Grand Théâtre, Genève
- 21 décembre 2007
le Grand Théâtre de Genève affiche Die Zauberflöte de Mozart
© gtg | marc vanappelghem

Lorsqu'un metteur en scène dispose d'un univers fort, le risque est qu'il l'impose au point d'étouffer le sens de l'ouvrage. Combien cèdent aujourd'hui à ce travers – on pense à Marthaler réussissant l'exploit de bannir le désir des Nozze di Figaro ou à Michael Haneke dont le Don Giovanni ne devient que lutte de classes. Avec son imaginaire extrêmement personnel, luxuriant et volontiers lyrique, Omar Porras aurait pu tomber dans cet excès. C'est tout le contraire avec la Zauberflöte qu'il propose au Grand Théâtre de Genève. Son univers singulier est pourtant bien présent, à chaque instant et dans les moindres détails, mais, caractérisé par la féerie, la poésie, la fantaisie de l'enfance, c'est presque tout naturellement qu'il entre en résonance avec le propos et la musique de l'ultime opéra de Mozart.

Dès la première scène, Omar Porras nous fait pénétrer dans un univers magique où les Trois Dames ont des airs de lucioles aux ailes scintillantes et le serpent les allures du Quetzalcóatl de la tradition aztèque. Toute la force du metteur en scène colombien est là : faire ressortir la portée universelle d'une œuvre mille fois vue et entendue par la transplantation d'autres grands mythes de la civilisation, vivifier un chef-d'œuvre du vieux continent en lui greffant des organes du Nouveau monde. Aucun symbole maçonnique dans cette production, et pourtant le message cher à Mozart est bien là, revisité par la tradition chamanique où la nature est au centre de l'initiation. Il faut abandonner notre trop grand attachement européen au cartésianisme, ne pas opposer la nature à la culture. Au contraire : le monde de la Reine de la nuit comme celui de Sarastro est animalier, les prêtres et Sarastro lui-même sont coiffés de ramures de cerfs et les arbres sont toujours présents, d'une manière où d'une autre, jusque dans la belle et énigmatique toile peinte en noir et en blanc qui occupe parfois toute la scène. C'est en se rapprochant de la nature que peu à peu l'esprit se libère.

Dans cette lecture syncrétique et originale surgissent, souvent, des images splendides. Ainsi de toutes les scènes de groupe où une faune merveilleuse, un grouillement d'elfes, d'insectes et de cervidés tirent l'opéra du côté du Songe d'une nuit d'été (Shakespeare). Ou encore ce tableau magnifique (et central dans l'histoire) où Tamino joue de sa flûte enchantée. Dans le noir complet, l'instrument s'éclaire et ce sont de géants papillons phosphorescents qui entrent sur scène et virevoltent tandis que les décors néobaroques s'allument en négatif.

Face à une telle richesse visuelle, on regrette que la distribution musicale ne soit pas à la hauteur. Dirigé de main molle par Gabriele Ferro, l'Orchestre de la Suisse Romande manque singulièrement d'intensité. Il est convenable, sans plus, tout comme le Papageno de Brett Polegato. En Tamino, Christoph Strehl semble paralysé par le trac et témoigne de problèmes d'intonation sur une voix au médium correct mais à l’aigu difficile. En Pamina, Jennifer O'Loughlin dispose d'un joli timbre et d'une fraîcheur touchante, tandis que la Reine de la nuit de Jane Archibald est très juste, jusqu'en ses suraigus clairs et charnus ; chacune aurait gagné à être plus soutenue par la fosse. Heureusement, le Chœur maison ne démérite pas et permet d'atteindre une plénitude vocale.

Face aux faiblesses de la distribution musicale, il faut toute la force du metteur en scène, les lumières subtiles de Mathias Roche, les décors magiques de Freddy Porras et les costumes oniriques de Coralie Sanvoisin pour réussir à faire de cette Flûte enchantée la plus belle qu'on ait vue, et prouver qu'on peut être serviteur de la musique en restant maître de son art.

IS