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Chroniques
Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Pour sa première saison à la tête du Festival de Salzbourg, Alexander Pereira a réussi à convaincre Nikolaus Harnoncourt de revenir sur sa décision en venant diriger une Zauberflöte mise en scène par Jens Daniel Herzog. Rien d'étonnant à retrouver ici des personnalités en si bonne entente à l'Opernhaus de Zürich. Le chef autrichien aurait-il pu refuser une offre aussi séduisante : diriger son Concentus musicus dans un cadre aussi prestigieux, une nouvelle production et un plateau vocal de qualité ?
La soirée pâtit quelque peu d'une certaine solennité et l'on sent dans la fosse et sur scène une volonté un rien figée à donner une interprétation de qualité. De tous les paramètres, la direction orchestrale est l'élément qui fascine et divise le plus. On perçoit le contrôle qu'à tous les niveaux elle exerce et l'effet qui en résulte. Le triple accord tutti de l'Ouverture est taillé dans le vif d'un geste large et grave qui étouffe la résonance et enchaîne les passages fugués avec véhémence. Les phrases claquent parfois sèchement dans les forte, contraignant la flûte solo à un périlleux exercice d'équilibriste entre candeur et tension dramatique. Cette obscurité entre chien et loup se répand uniformément tout au long de l'ouvrage. Les timbres pâles et fiévreux fuient toute idée de joliesse tant et si bien que face à ce regard sévère et tendu, l'humour et les badineries du plateau semblent bien décalés.
La scénographie joue sur un espace relativement réduit qui présente l'avantage de dégager la vue sur les fameuses galeries creusées dans la falaise (dans lesquelles les spectateurs prenaient place pour voir se dérouler le manège des chevaux). Il faut malheureusement abandonner vite l'idée que ces galeries puissent fournir un effet autre que décoratif. Le regard se concentre sur un peu commode emboîtement d'espaces modulables créant une scène à plusieurs perspectives avec plus ou moins de bonheur (la sensation de labyrinthe est totalement manquée). Papageno livre ses oiseaux empaillés sur une Vespa à remorque, très années cinquante (on repense au Don Pasquale de Podalydès au Théâtre des Champs-Élysées, cet hiver), tandis qu'à ses côtés Tamino joue le parfait candide, habillé de couleurs pastels. La flûte dont il hérite est un drôle d'accessoire à la forme non identifiée qu'il ne porte jamais à la bouche pour en tirer un son. Le monde de Sarastro est celui d'une communauté sectaire de scientifiques occupés à prendre des notes en observant la progression du couple d'amoureux, telle une expérience avec des rats de laboratoire. La cérébralité ambiante y est surlignée par la blouse blanche et l'affreux accessoire de Sarastro, sorte de tuyau reliant l'arrière du crâne à un boîtier porté sur la poitrine et qui clignote irrégulièrement en fonction des émotions de son propriétaire. À l'opposé, les troupes de la Reine de la nuit exhibent bijoux et robes de soirées. Les symboles sont simples et efficaces, on suit le voyage initiatique sans encombre rétinienne majeure, mais sans non plus emporter d'images suffisamment fortes pour élever la soirée au delà du mémorable.
Herzog donne du rythme à l'action sans aller plus loin qu'un balisage gestuel et un comique de situation tantôt répétitif, tantôt désespérant – Papageno en particulier, obligé de surjouer dans le registre de la pitrerie à de nombreuses reprises. Monostatos est un pervers au costume improbable qui lutine une Pamina en socquettes et blouse d'écolière, tandis que l'apparition de Papagena en hideuse sorcière télécommandée enferme le rôle dans une perspective uniformément bouffonne. Le quatuor des jeunes héros finit par quitter la scène en poussant les landaus de leur progéniture, abandonnant à leurs querelles Sarastro et la Reine de la nuit qui se battent à corps et à cris.
Le plateau vocal est dominé par la prestation de Georg Zeppenfeld, abandonnant pour un été la Colline Verte pour le Mönschberg. Il se joue des difficultés de Sarastro, à commencer par la descente chromatique vers le fa grave du deuxième acte, chantée avec une aisance inouïe. Le Tamino de Bernard Richter ensuite, parfaitement cohérent dans son incarnation et d'une forme vocale insolente, toujours un peu à l'étroit dans les ensembles – qu'il aborde avec le naturel de ses airs solistes. Face à lui, Julia Kleiter est une très convaincante Pamina. L'abandon juvénile avec lequel elle aborde Ach ich fühl's verse une lumière simple et lumineuse sur ce moment d'anthologie. Markus Werba est assurément le meilleur acteur de la soirée. Il campe un Papageno terrien et jouisseur, d'une couleur de timbre moins démonstrative que sa présence scénique le ferait croire. Dans la redoutable étoffe vocale de la Reine de la nuit, pleine de furie et de contre-fa, Mandy Friedrich semble flotter comme en un costume trop grand. Sans démériter, elle garde dans le masque les ornements du chant avec une précision d'orfèvre mais sans la liberté d'émission qui démontrerait une parfaite maîtrise. Avec une économie de gestes stupéfiante, Harnoncourt dessine pour elle une ligne harmonique qui ne contraint jamais sa respiration. Les rôles secondaires ne dépareillent pas l'ensemble, même si les trois Garçons du Tölzerknabenchor rappellent que la mue est une réalité physiologique et qu'il faut malheureusement s'en accommoder…
Un spectacle à ranger au rayon Harnoncourt, donc.
DV