Chroniques

par gérard corneloup

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Lyon
- 24 juin 2013
nouvelle production lyonnaise de Die Zauberflöte de Mozart
© bertrand stofleth

On a longtemps monté les opéras d’hier et d’avant-hier dans les décors, les costumes et le travail scénique fixés une bonne fois pour toutes lors de la création… et souvent réalisés et conduits par le régisseur alors de service au théâtre, le tout indissolublement collé avec scénario et texte écrits par le librettiste. Puis les choses ont progressivement évolué, les bases dramatiques se sont décongelées, se sont modernisées, voire mises au goût du jour. Sont même apparues des « relectures », parfois décalées, d’autres désacralisées, quelquefois décapantes et bienvenues, souvent prétentieuses et convenues, voire les deux. On a connu des Figaro en scooter, des Roméo en jean’s, des Rousalka au bordel, etc. L’on entendit aussi des ouvrages « relus et corrigés » ayant mieux résisté ou tombés dans les mains de metteurs en scène – le mot magique, désormais, en matière d’opéra – imaginatifs, certes, mais rigoureux autant que vigoureux, au regard novateur mais pas seulement, à la conception imaginative mais bienvenue, au travail original sachant rester modeste derrière ce qui reste tout de même la base du genre : la musique et le livret (ou le contraire). Toujours devant, le travail créatif du metteur en scène, avec une composante de plus en plus importante, et même envahissante : la technologique « scintifico-technico-moderno-quelque-chose », qui convoque à un arsenal imposant (pour ne pas dire écrasant) de caméras, d’écrans, d’accessoires divers et variés, de flammes artificielles, de voiles enfermant la scène loin du spectateur et sur laquelle apparaissent, gigotent et disparaissent des images virtuelles ou des textes à (essayer de) lire – j’en passe et des meilleures.

Sortant de cette nouvelle (et « énième ») Flûte enchantée du sieur Mozart, il faut d’abord se souvenir que cette production est, comme c’est le cas une fois l’an à l’Opéra de Lyon, destinée à être présentée aussi hors les murs, un soir d’été, gratuitement, via de grands écrans placés sur les places de certaines villes de la région Rhône-Alpes. Ainsi pourra-t-elle être vue, voire suivie, peut-être même intégralement, par tout un public des moins captifs, a priori peu familiers des mélodies élaborées, accords subtils et cadences alertes de l’ultime partition mozartiennes. Un impératif, donc : que cette projection attire l’oreille mais aussi (sinon surtout) l’œil du « lyricophile » d’un soir.

Cela dit, il est indéniable que la conception dramatique et le travail scénique imaginés par les « scénaristes » choisis, en l’occurrence Pierrick Sorin et Luc De Wit, répond à ces critères, tout en associant une approche originale magistralement servie par le recours aux technologies les plus modernes, voire avant-gardiste en matière de théâtre lyrique, sans éviter toujours l’accumulation trop systémique et donc accablante de la chose, avec pour conséquence le glissement dans la chausse-trappe du genre « regardez-donc-ce-que-je-sais-faire». Ici, pas d’idéalisation de l’amour de Tamino et Pamina, pas de monde parfait autour du grand, sympathique et paternel Sarastro, mais un univers bigarré, façon Star wars, avec ses hordes d’assaillants et d’assaillis, d’hommes et d’animaux aussi sauvages que sages, dans les décors et la vidéo ultra-présente (pour ne pas dire encombrante) de Pierrick Sorin, en compagnie des automates autrement persuasifs de Nicolas Darrot – encore qu’un subtil mais indiscret et gênant décalage existe entre les voix réelles sur scène et celles, virtuelles, sur l’écran –, des éclairages robustes mais accrocheurs de Christophe Grelié, des costumes malheureux de Thibault Vancraenenbroeck.

À côté de toute cette « philosophie » sinon enchanteresse mais imaginative, qui apaise bien des choses par le biais d’une inévitable composante franc-maçonne naissante à l’époque d’Amadeus, lui-même en loge, le grand mérite de cette réalisation est à trouver dans la distribution vocale, aussi jeune que réussie, qui puise pour l’occasion dans le Studio maison – une audace, pour un tel ouvrage, et un bonheur plein et entier qui fait oublier certaines prestations antérieures, nettement moins bienvenues, disons-le.

D’abord deux artistes éblouissants de musicalité sont en piste pour la première (une autre distribution chante en alternance) : le ténor Mauro Peter et le soprano Sabine Devieilhe, soit un Tamino au timbre fluide mais personnalisé, à l’émission claire et bien posée, aux aigus sans failles, et une Reine de la nuit qui triomphe, par-delà l’écriture éprouvante du rôle, tout de pyrotechnie vocale. Seules les qualités dramatiques peuvent sans doute être améliorées. Aux côtés des trois belles Dames de Barbara Zamek, Camille Dereux et Dorothea Spilger, des trois savoureux Garçons de Tom Nermel, Remo Ragonese et Louis Gourbeix, issus de la Maîtrise, on peut ajouter bien des noms, comme ceux d’Heather Newhouse, Pamina musicale, plus convaincante lyriquement que théâtralement, de Rémy Mathieu en Monostatos expressif, voire de Philippe Spiegel en Papageno. En revanche, Johannes Stermann est mal choisi pour le rôle trop grave pour lui de Sarastro Les chœurs de l’Opéra national de Lyon sont toujours aussi homogènes et convaincants.

Reste la direction enlevée, énergique, hyper contrastée, menée à un train d’enfer, de Stefano Montanari qu’on connut plus musical, plus subtil, moins tonitruant. L’ultime opéra de Mozart n’est sans doute pas la musique éthérée, « intello-subtile », « maxi-alambiquée » que certains chefs se plaisent à défendre ; il n’est cependant pas du Grétry revu et corrigé par Auber, voire Suppé. Dès la fringante Ouverture, l’orchestre local a du mal à suivre.

GC