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Chroniques
Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Cette année, la première surprise de cette Flûte aixoise est l'interprétation sur instruments anciens dirigés par un chef rompu au répertoire contemporain. Tant pis pour les tenants d'une prétendue tradition remontant au temps glorieux de Gabriel Dussurget et Hans Rosbaud. Pour préserver la billetterie et le calendrier des intempéries, les représentations avaient été programmées au Grand Théâtre de Provence plutôt qu’à l'Archevêché, idée judicieuse car les caprices du ciel ont conduit à l'annulation de plusieurs soirées de plein air. Les intermittents du spectacle se sont chargés de rappeler les soubresauts de la météo sociale, en prononçant un discours avant chaque représentation et en invitant les artistes qui le souhaitaient à arborer un discret calicot rouge.
Simon McBurney a souhaité une scène débarrassée de tout accessoire et d'une austérité assumée. Un peu commode plateau amovible et suspendu sert successivement de séparation, table de réunion, plafond ou mur de fond, avec l'inconvénient majeur de modifier sensiblement la perception des voix selon qu'elles sont éloignées ou en hauteur. Ici comme ailleurs, c'est l'utilisation des projections qui crée la perspective et les décors imaginaires. Placés de chaque côté, des accessoiristes se chargent d'animer les péripéties, tantôt acoustiquement (bruitage amplifiés depuis l'intérieur d'une cabine latérale), tantôt visuellement (dessins à la craie filmés en direct et projetés sur écran géant en arrière scène). La naïveté et la simplicité du procédé s'accordent avec l’approche de cet opéra. Le message est bien présent, mais la quête est décevante. Apparemment politique, le conflit qui oppose Sarastro à la Reine de la nuit se règle par l'intervention de sbires en tenue de camouflage et la négociation de paix autour d'une immense table. Les deux protagonistes peinent à se déplacer, l'un marchant avec une canne tandis que son alter ego féminin pousse ses contre-fa assis dans un fauteuil roulant. Folie et dérèglement du pouvoir ? Ayons une pensée compatissante pour les chanteurs.
On n'échappe pas à un Papageno clochardisant ni à la candeur diaphane du couple Tamino-Pamina ou la noire veulerie de Monostatos. Il n'y a pas de mauvaises idées, mais pas d'unité suffisante qui donnerait une lisibilité et une cohérence à celles qu'on trouverait bonnes. Le spectateur est pris dans un kaléidoscope d'images plutôt esthétisantes et idéales sur papier glacé – généralement réussies quand il s'agit d'illustrer le sentiment amoureux, comme cette emblématique envolée du couple sur fond de spirale dessinée à la craie ou les rayons du soleil qui irradient autour d'eux.
Le plateau vocal est globalement homogène et de bonne tenue.
Andreas Conrad en Monostatos pose la question de jusqu'où ne pas aller trop loin dans l'exagération, avec une projection problématique. Quelques réserves également quant au Papageno de Thomas Oliemans, pénalisé par une émission laborieuse et une tendance à dissimuler par le jeu un timbre assez terne. On ne reprochera pas à la Reine d’Olga Pudova de trébucher sur ses fameux aigus, mais il faut accepter en contrepartie une lecture à fleur de notes, sans grande ampleur ni naturel. Succès mérité pour la Pamina de Mari Eriksmoen, surtout en seconde partie. L'agilité et le legato s'assouplissent et caractérisent la sensibilité et la profondeur du personnage, qualités qui manquent à l’impeccable Tamino de Stanislas de Barbeyrac. La voix est idéalement placée, la projection et les couleurs d'une intensité parfaitement dosée, mais l'artiste chante à côté du rôle. Les moyens sont immenses et l'expérience finira par gommer ces détails, conséquents à un chant très appliqué.
Pour terminer, saluons le geste précis et vivifiant de Pablo Heras-Casado. Les arrière-plans sonnent avec précision et tout entier le Freiburger Barockorchester se livre sans retenue. On a rarement entendu des cors naturels autant en confiance et des cordes qui jouent sans s'excuser de ne pas avoir l'étendue dynamique des phalanges modernes.
DV