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Chroniques
Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Après de nouveaux Ernani et Lucia di Lamermoor tout récemment [lire nos chroniques du 29 septembre et du 17 novembre 2015], le charmant théâtre de Dukers (1820), Rémont (1861) et Berchmans (1930) accueille une production âgée de cinq ans dont l’actuelle première confirme le bien-fondé du succès d’alors. Dernier opéra à grimper sur la scène wallonne en cette fin d’année qui traditionnellement affiche des légèretés plus lourdes, la Zauberflöte de Cécile Roussat et Julien Lubek (auteurs d’une Cenerentola dans cette maison) affirme une profondeur salutairement aérienne. Pensum philosophique truffé de symboles maçonniques, La flûte enchantée ? Non… en tout cas pas celle-ci ! Certes, les Lumières n’en sont guère exclues, mais comme tenues à saine distance, à la faveur du conte et du rêve.
Rideau baissé, un valet d’un temps incertain – laquais du XVIIIe siècle, groom d’hôtel de luxe 1900 ou Chat botté Renaissance, on ne sait – joue du plumeau en loge jardin, à l’angle de la moulure souligné par quelques tranches de livres anciens. Lorsqu’est diffusé le message en trois langues par lequel le spectateur est invité à éteindre son téléphone, il l’écoute sur un vieux récepteur de bakélite. La fosse s’accorde, le chef entre : notre valet place une noble galette chanteuse dans le gramophone qui siège à l’avant-scène. Musique !
Cet hors-champ, façon Tex Avery, introduit idéalement dans la chambre d’un petit. Comme l’Alice de Carroll (Chin), Tamino promène son sommeil au fil d’un rêve labyrinthique qui fait parler statues, réveils et autres animaux. Dans la lignée de l’Enfant de Colette (Ravel), il voit s’animer les objets du quotidien – volontiers Art nouveau, s’il vous plait : clin d’œil affectueux à cette féconde période décorative belge ?... –, de la terreur au ravissement. Ainsi la fantasmagorie est-elle en germe partout : le lit arbore en relief un papillon de nuit sur son bois de pieds et couronne son bois de tête d’un serpent, la cheminée à motifs végétaux soutient des bustes à coiffe égyptienne bientôt transformés en Dames du royaume de la nuit, le médaillon de l’alcôve s’incarne soudain en chat-démon d’inspiration japonaise (Reine de la nuit), le valets se multiplie par six, les édredons s’amusent, le réveil devient Glockenspiel enchanté, les pardessus de l’armoire prennent des bouilles de gamins poseurs d’énigmes, et ainsi de suite jusqu’à la bibliothèque changée en Temple devant lequel s’agitent des mitres indéfinissables, le ramoneur Monostatos qui terrifie ses esclaves échappés d’une savoureuse turquerie [lire notre chronique du 25 août 2009 et notre entretien avec Chimène Seymen], la chimère qui s’improvise dans la peau de tigre où se plantait plus tôt la table du gramophone, etc. De cet ingénieux théâtre de bateleurs ne dévoilons pas le détail mais l’essentiel : à savoir qu’il dépoussière formidablement le carcan de respect où l’ouvrage est souvent tenu, en recourant non pas à quelque exacerbation trash mais à une pratique prodigieusement inventive qui dans son éberluante ganse convoque acrobates, colombes, ombres chinoises, jongleurs et autres magiciens (Iris Garabedian, Antoine Helou, Mathieu Hibon, Sayaka Kasuya, Anthony Lefebvre, Alex Sander dos Santos) autour du fameux portrait de la belle Pamina… chut ! L’idée est trop belle : allez donc l’y voir à Liège.
Un parterre de fleurs complices s’adonne joyeusement à ce quadrille des homards. Saluons Anneke Luyten et Beatrix Krisztina Papp (Première et Troisième Dames), le chant élégamment conduit et le ténor flamboyant de Papuna Tchuradze (Second Prêtre), Krystian Adam en Monostatos aiguisé, la fort satisfaisante Papagena d’Inge Dreisig, pâture consentante de Mario Cassi, Papageno dont le timbre s’ouvre peu à peu. En tout point conforme à la poupée qui nous en est montrée en début de représentation, la Pamina d’Anne-Catherine Gillet vocalise dans sa robe de sucre d’orge et ses anglaises carotte ! Dans ce rôle, l’impact du soprano belge est moins immédiat, mais avance une pureté du registre haut dans les atermoiements du deuxième acte. De même Anicio Zorzi Giustiniani n’est-il pas à proprement parler ténor mozartien, mais avec un aigu vaillant, une endurance indéniable, un soin constant de la nuance et un bel engagement dramatique, son Tamino convainc haut la main. Aux deux monstres de s’affronter : en celui du Bien l’on retrouve avec grand plaisir Gianluca Buratto, Zarastro à l’onctuosité fleuve, rassérénant comme un baume [lire nos chroniques du 18 décembre 2010, du 16 août 2012 et du 17 janvier 2014], quand celui du Mal s’appelle Burcu Uyar, colorature moins étroit que de coutume qui fait merveille dans le fameux air. Au pupitre, Paolo Arrivabeni dirige ce soir sa première Zauberflöte. Elle est preste, théâtrale, mais encore élégante et jamais convenue ni surannée.
BB