Chroniques

par bertrand bolognesi

Diego Fasolis joue Die Schöpfung, oratorio d’Haydn
Orchestre national de Metz, Vlaams Radio Koor

Hélène Carpentier, Abdellah Lasri et Alex Rosen
Arsenal, Metz
- 8 décembre 2018
Diego Fasolis dirige l’Orchestre national de Metz dans "Die Schöpfung" d'Haydn
© dr

Retour à l’Arsenal, l’une des meilleures acoustiques de France, pour cette soirée spirituelle de l’Orchestre national de Metz – nouvelle appellation de l’Orchestre national de Lorraine, qui coïncide avec la récente redécoupe des régions et l’arrivée de David Reiland au poste de directeur musical, où il succède à Jacques Mercier. Après le Requiem de Mozart aux Invalides (5 octobre, Paris), les menus Moussorgski, Mozart, Pärt, Takemitsu et Schönberg in loco (19 octobre), puis Barber, Hersant, Prokofiev et Tchaïkovski (17 novembre), Debussy à la Philharmonie (25 novembre, Paris) et un récital de musique légère avec le soprano Rocio Perez et le ténor Yu Shao, à Sarrebruck (30 novembre), le sixième programme de sa saison 2018/19 se concentre sur un seul opus, et non des moindres puisqu’il s’agit de l’oratorio Hob.XXI:2 de Joseph Haydn, Die Schöpfung. Sa première eut lieu au palais Schwarzenberg de Vienne, le 30 avril 1798, trois ans après celle de la londonienne Symphonie en si bémol majeur Hob.I:102 qui nous occupait la semaine dernière [lire notre chronique du 29 novembre 2018].

À la tête de la formation lorraine pour un soir, l’on retrouve l’excellent Diego Fasolis, chef suisse fort apprécié dans le répertoire baroque [lire nos chroniques du 8 mars 2009, du 21 octobre 2010, des 27 mai et 9 juillet 2011, du 13 novembre 2012, du 15 avril 2016 et du 18 mars 2018, ainsi que nos critiques des CD Farnace et Dorilla in Tempe]. Il opte pour la gravité simple, sans démonstration, dans une Vorstellung des Chaos dont l’austérité s’orne cependant d’une appréciable subtilité de la nuance, constituant par endroits une certaine prise de risque. Tout en s’exprimant sur instruments d’aujourd’hui, c’est, bien sûr, du pianoforte que s’articulent les récitatifs, ce qui apporte une couleur ancienne à l’interprétation. Le parti pris global est la lenteur, celle qui favorise un soin précieux des timbres et de l’élan dramaturgique de cette Création relativement sévère. Fasolis ne lâche pas son monde, aux commandes d’une exécution rigoureusement contrôlée qui n’entend pas d’oreilles profanes le sacre génésiaque, même au siècle des Lumières. Dans la deuxième partie, l’on apprécie les interventions savoureuses de Florent Charpentier (clarinette), Claire Le Boulanger (flûte) et Pierre Gomes (basson). Le trio de flûtes de la troisième – l’instrumentiste déjà nommée, avec Lydie Cerf-Fredj et Claire Humbertjean – se signale par une grâce ineffable. La présence du Vlaams Radio Koor, doté d’une exceptionnelle qualité d’écoute, est un véritable avantage qui donne au concert sa grande aura.

Pourtant, l’auditeur de bonne volonté a beau faire, tout lui semble terne comme la pluie. Il est vraisemblable que le trio solistique n’y soit pas pour rien. Engager de jeunes voix paraît louable, en principe, mais attention, l’exercice de l’oratorio, où l’appui sur un rôle est impossible, n’est pas des plus simples, contrairement à une idée aussi répandue que sotte. Alex Rosen use d’un timbre enveloppant et rond, lors du premier récitatif, qui enrobe certains sons jusqu’à les détimbrer. Plus dans le texte à sa deuxième intervention, la basse californienne affirme le velours spécifique de sa belle voix, passé ce moment de trac géré en deçà de ses moyens. De plus en plus assuré, le chanteur, doté d’un grand souffle, fait profiter d’un phrasé élégant et d’une franche souplesse dans les motifs ornementaux, mais les airs manquent de l’impact nécessaire. De prime abord flamboyant, Abdellah Lasri déçoit grandement, bien qu’à l’aise dans les recitativi. L’impédance de l’aigu est aux antipodes des autres zones du registre et le ténor marocain accuse une souplesse nettement carentielle, à l’œuvre dans une diction allemande trop durcie qui va jusqu’à malmener l’intonation.

Quant à la partie de soprano, elle trouve finalement bonne transmission avec Hélène Carpentier, redoutablement exacte, ce qui n’était guère donné d’avance… L’instrument semble d’abord étroit, le chant instable dans les motifs descendants et l’aigu du premier solo de Gabriel maladroitement forcé. On retrouve une de ces jeunes voix féminines qui paraissent anormalement vieillies, comme c’est trop souvent le cas des chanteuses françaises, ce qui peut interroger notre enseignement qui induit un manque de confiance des artistes en leurs moyens vocaux naturels, dont la fraîcheur est aussi un atout non négligeable, au profit du seul style, certes indispensable mais qu’on ne devrait pas ériger au point d’en faire l’exclusif atout. Dans la voix d’Hélène Carpentier, nous percevons des qualités bien plus intéressantes, vraisemblablement maintenues à fermes brides, mais jamais de plaisir à chanter, c’est dommage. Elles commencent à poindre, certes timidement, dans le trio final de la première partie, puis le gosier s’arrondit dans la deuxième, notamment sur les phrases les plus détendues, pour s’avérer le pupitre le plus satisfaisant des trois solistes à la dernière. Il faudrait savoir s’abstenir de comparer… le souvenir d’une autre Schöpfung messine demeure [lire notre chronique du 16 mars 2017].

BB