Chroniques

par irma foletti

Dinner at Eight | Les invités de huit heures
opéra de William Bolcom

Wexford Opera Festival / National Opera House
- 1er novembre 2018
Dinner at Eight de William Bolcom au Wexford Opera Festival 2018
© clive barda

Depuis sa création en 1951, le Wexford Festival Opera privilégie les œuvres rares, le plus souvent absentes des affiches des maisons d'opéra. Ne dérogeant pas à la règle, sa soixante-septième édition propose, en trois soirées, la création européenne d'un ouvrage contemporain, un opus de Mercadante, puis une double affiche vériste italienne. Dinner at Eight de William Bolcom, compositeur né en 1938, a été créé au cours de la saison 2016/2017 au Minnesota Opera de Minneapolis. C'est ce spectacle qui est remonté à Wexford, défendu par la même équipe artistique.

Le livret de Mark Campbell est basé sur la pièce originale de Georges S. Kaufman (1889-1961) et Edna Ferber (1885-1958), à l'origine également du célèbre film réalisé en 1933 par George Cukor (1899-1983) – Les invités de huit heures pour la version française –, en compagnie en particulier de Jean Harlow dans le rôle de la délurée Kitty. La musique de Bolcom [lire nos chroniques d’A view from the bridge et de Frescoes] illustre toujours au plus près les situations et s'écoute très agréablement, mais il faut reconnaitre qu'elle penche beaucoup plus du côté du musical de Broadway que vers une partition lyrique. L'opéra est construit en deux actes de six scènes chacun, avec beaucoup de conversation en musique, mais aussi quelques brefs airs réservés aux solistes.

Lorsque Millicent Jordan, la maîtresse de maison qui tente d'organiser son dîner avec des convives de choix, évoque le homard qui sera au menu, et que des garçons passent à ses côtés portant des plats sous cloche, on reconnait des bribes de Salome de Strauss, lorsque celle-ci demande de lui livrer la tête de Jochanaan sur un plateau d'argent. C'est tout pour les clins d'œil qu'on put identifier, la tension musicale décollant juste avant l'entracte lorsque Millicent, interprétée par Mary Dunleavy à la voix expressive et puissante [lire notre chronique du 31 octobre 2007], se déchaîne complètement quand tout va mal : les deux invités de marque qui se décommandent, l'aspic de homard qui est tombé par terre… Mais le soufflé retombe au second acte, le suicide de l'acteur déchu, alcoolique et ruiné Larry Renault, est triste mais pas véritablement poignant. Le final, très beau visuellement, où se découpent sur fond lumineux les silhouettes autour de la table, verre à la main, est bien loin de constituer musicalement un climax.

L'équipe artistique paraît fort bien rodée et les voix caractérisent au mieux les personnages. Stephen Powell (Oliver Jordan) est un baryton au timbre agréable [lire notre chronique du 12 septembre 2010] et Gemma Summerfield (Paula Jordan) émet de beaux aigus filés. Brenda Harris évoque au plus près le personnage de Carlotta Vance, ancienne actrice, avec un vibrato qui n'est pas désagréable et des notes suffisamment stables [lire notre chronique du 4 mai 2003]. Pour jouer le couple Dan et Kitty Packard, Craig Irvin est arrogant à souhait, cupide et sans pitié lorsqu'il veut prendre le contrôle de la société d'Oliver Jordan. Susannah Biller est idéale dans son rôle de coquette frivole, d’une voix parfois perçante. En acteur fini, Richard Cox (Larry Renault) rencontre quelques problèmes vocaux, des aigus très tendus dont certains se dérobent, ce qui ajoute au pathétique du personnage et au malheur de sa situation [lire notre chronique du 13 février 2018]. Le couple Talbot, Joseph et Lucy, est bien en place avec Brett Polegato [lire nos chroniques du 26 mars 2015 et du 12 mai 2016] et Sharon Carty, la femme trompée, en possession de moyens vocaux conséquents, ne voulant pas faire de scène à son mari.

L'ensemble est placé sous la battue de David Agler, également directeur artistique du festival. L'orchestre réalise un sans-faute dans l'exécution de cette partition aux nombreuses cassures de rythme, aux atmosphères et couleurs instrumentales très variées. Le spectacle réglé par Tomer Zvulun enchaîne les scènes à vive allure, avec changements à vue des décors. La scénographie d'Alexander Dodge est encadrée par les trois parois, latérales et au plafond, représentant la ville de New York en relief miniature, dans les années trente, Crysler Building à gauche et Empire State Building à droite. Au début de chaque acte, des photos d'époque en noir et blanc sont projetées sur le voile d'avant-scène, tandis que les rôles secondaires chantent en ligne, dans la pure tradition du musical américain. Le mobilier intérieur des Jordan est élégant et de style Art déco, alors qu'on amène plus tard la chambre à coucher des Packard, élément poussé sur des roulettes. Pendant une période de l’Acte II, la pièce semble s'emballer un peu lorsque les scènes passent rapidement : 7.30 pm le couple Dan et Kitty Packard s'engueule, 7.45 pm tout va bien pour Millicent Jordan, un cocktail à la main, 8.00 pm retour dans la chambre d'hôtel de Larry Renault où celui-ci va se suicider par intoxication au gaz de chauffage. La dernière pose de l'acteur dans son fauteuil est évidemment crépusculaire, dommage que la conclusion de la pièce ne paraît pas aussi aboutie.

IF