Chroniques

par marc develey

Dixit Dominus de Händel et Magnificat de Bach
Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski

Cité de la musique, Paris
- 10 novembre 2012

Dans un mezzo forte très tenu, le premier mouvement du Concerto grosso pour orgue et orchestre en ré majeur Op.3 n°6 HWV 317 de Georg Friedrich Händel donne un ton gracieux à ce début de soirée. Le concertino du premier mouvement s’y montre délicatement chambriste, tandis que le récitatif à la française du positif impose au second un climat assombri de tonalités mineures dans un délicat dialogue entre les deux mains. Enfin, les attaques en rebond de l’orchestre font à ses affirmations mélodiques un ourlet de quasi-siciliennes.

Sans presque de transition, la battue précise de Marc Minkowski impose un Dixit Dominus HWV 232 dans des tempi alertes et précis. L’acoustique à la fois sèche et feutrée de la salle ne permet pas de toujours bien distinguer les plans, mais le chef sait, dans l’ensemble, en éviter le brouillage, et c’est un Psaume 109 tout de colère et d’exaltation qu’il nous offre. Les parties de chœur, données par les solistes, renforcent la passion plus qu’elles ne la dissipent – comme si la voix seule savait véhiculer une rage plus immédiate que celle des foules. Les attaques précises du Dixit et son contrepoint avec le cantus firmus dans le premier numéro anticipent l’assertivité « exultante » aux multiples répons du Gloria final. Entre temps, Delphine Galou délivre un Virgam virtutis discret et concertant et, si le vibrato prononcé de Sylvia Schwartz déconcerte au Tecum Principium, sa diction claire et l’assurance du ton rendent hommage à la vigueur juvénile du texte.

En se gardant de teintes criardes, l’accentuation des dissonances du Juravit emblave le champ sonore d’une semence d’irrémédiable – les voix si orchestrales de Händel s’homogénéisent ici au sillon instrumental jusqu’à la simplicité du morendo final. Tu es sacerdos passe comme un subit grand vent polyphonique plein d’une belle énergie, avant les anticipations mozartiennes du Dominus a dextris tuis. Le dialogue des solistes s’y montre d’une grande tenue, chaque voix serait-elle individuellement moindre que le tout – on apprécie la projection, certes un peu sourde dans les graves, de Luca Tittoto. En amont de la fureur des massacres (implebit, conquassabit martelé sur les piqués abrupts de l’orchestre), une tendresse du chœur sur Judicabit dans un accord touchant avec le continuo semble annoncer les mélismes presque amoureux d’un De torrente délivré dans l’eau capiteuse d’une paix rarement entendue sur ce numéro. Gloria et Amen concluent dans des attaques furieuses au violoncelle ces pages d’un protreptique guerrier dans une même attention à la densité harmonique et aux variations texturales.

Anticipant le duo de flûtes de l’Esurientes du Magnificat, Les musiciens du Louvre Grenoble assignent la réouverture du concert aux piani veloutés et très intériorisés de la Sinfonia en ré mineur F65 de Wilhelm Friedemann Bach. Les longues plaintes tirées des violoncelles, la méditation droite des solistes s’entre-répondant en tierces contrapuntiques déhiscent une offrande hivernale, l’élégie funèbre et dolente d’un chambrisme concentré tout à fait extraordinaire. En comparaison, la fugue (d’un contrepoint dansé aux articulations précises et aux répons ludiques) fait figure d’un scherzo presque banal.

C’est, enfin, un passionnant Magnificat de Johann Sebastian Bach qui est offert, ce soir. Le propos, d’une belle homogénéité, sait rester d’une grande sobriété sans extase sulpicienne. Le schéma accentuel prime sur la séparation des plans sonores. Précise, la rhétorique se déploie dans une dynamique resserrée aux variations subtiles.

L’ouverture est un peu trop massive, peut-être, et l’on perd le suivi du rouleau mélodique. Le patron accentuel très net engage l’écoute au rythme et, malgré une certaine sécheresse de l’acoustique, on est pris de joie. Dans un souffle parfois un peu court, Gaëlle Arquez délivre un Et exultavit habité de son timbre chaleureux. Accompagnée d’un hautbois d’amour d’une diction impeccable, mais qui sacrifie parfois peut-être à quelques nuances mignardes, Sylvia Schwartz, toute en retenue, installe un Quia respexit dans le droit fil du texte et maîtrise son vibrato. Le chœur restreint impose alors à l’Omnes generationes un effet de foule compacte, grâce au jeu accentuel et au soutien rythmique instrumental – mais, à moins de les anticiper, on y perd un peu les répons de la fugue. Après un Quia fecit mihi magna honorable, les vocalises de Luca Tiottoto se perdant un peu sous l’orchestre, l’ostinato léger d’Et misericordia sert un duo alto-ténor fort homogène, Colin Balzer et Delphine Galou parvenant à accorder leurs projections dans un mezzo forte simplement posé en regard de la suavité des répons orchestraux. Sans jamais traîner, le tempo mène dans la bravoure de Fecit potentiam. Une imprécision des trompettes et Dispersit dont l’entrée en strette manque de clarté laissent néanmoins le mouvement s’achever dans le triomphe d’un Superbos discrètement lumineux. Sur une pâte orchestrale opératique et robustement accentuée, Colin Balzer, nonobstant des aigus plus faibles, propose un Deposuit dynamisant en accord résolu avec le pupitre de cordes. Rien de trop précieux aux flûtes d’Esurientes, chantantes comme une eau sur les galets précis des pizzicati dans un dialogue très simple et doux avec l’alto.

Presque a capella tant lecontinuo est discret,Suscepit Israel laisse lumineusement entendre ses harmonies complexes dans une immense tendresse et retenue. Lui succède, très noble,la fugue Sicut locutus est dans une configuration soliste (l’autre moitié du chœur). Aucune emphase excessive sur Abraham ne vient troubler la dignité de ne passage. Le Gloria se dresse tel une cathédrale baroque dans ses polyphonies chantournées convergeant vers le noyau choral, Spiritui Sancto, dans une appréciable réserve de son. Éclate enfin l’allégresse du thème initial, précise et sobre, sur l’Amen conclusif.

Il n’y a certes là rien pour emporter l’enthousiasme, juste une proposition pensée, tenue, d’une appréciable subtilité et d’un fort beau travail. Non pas une glose sur le Dieu des transcendances mais, s’il faut aller jusque-là, celui, proche et simple, des annonciations quotidiennes. Et, surtout, beaucoup de musique.

MD