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Chroniques
domaine privé Kaija Saariaho
Tuija Hakkila, Florent Jodelet,
Après le ballet Maa donné hier création française pour inaugurer ce quasi-festival Saariaho à la Cité de la musique [lire notre chronique de la veille], c’est à un rendez-vous chambriste que nous assistons. Écho sensible au programme joué à l’Ambassade de Finlande par l’International Contemporary Ensemble [lire notre chronique de l’avant-veille], la soirée est ouverte par Sept Papillons (2000). Arrivés tous les deux en 1982 à Paris, pour des raisons différentes, le violoncelliste Anssi Karttunen et la compositrice s’y sont rencontrés à cette époque. Depuis les lie une indéfectible amitié musicale. Dès la pièce I (dolce, leggiero, libero), le soliste ose des « oxydations » jusqu’auxquelles n’allait pas le musicien entendu mardi, de troublantes raucités multiphoniques. La deuxième bénéficie d’une vibration consolatrice, puis la mélodie « sifflée » de la suivante respire la « tristezza » qui l’indique. Dans une IV en subtil glissando meurtri, pour ainsi dire, deux voix se disputent l’arpège d’harmoniques dans le chant louré des pizz’ de main gauche (manche). D’un savant et diaphane double-tremolo (archet et main gauche) surgit la plainte mélodique du cinquième papillon. L’oscillation nervoso de l’avant-dernier s’achève sur une percussion toute douceur, pour laisser renaître le motif du II dans une inflexion profondément recueillie.
La fidèle Tuija Hakkila [lire notre chronique du 15 mai 2005] rejoint au piano le violoncelliste, de même que Florent Jodelet prend place aux percussions. Serenatas fut conçu en 2008 et créé à Santa Fe le même été par l’Ensemble Real Quiet, son commanditaire avec la Jolla Music Society pour le Milwaukee Summerfest. Il s’agit d’une suite de cinq épisodes contrastés dont Kaija Saariaho écrit « je voudrais que l’attitude du musicien […] soit dévouée, comme s’il était en train de jouer une sérénade à son amour » [brochure de salle]. Dans le savoureux jeu de brouilles timbriques entre les notes répétées du piano (très pédalisées, arrondies), et le vocabulaire campanaire de la percussion, le violoncelle s’inscrit « en creux ». Une plainte « tournante » traverse le trio de Delicato, avec quelques motifs en commun ou en répons conclus par des trilles obstinés. À l’irrésistible halo hésitant du bref Dolce succède le grand lyrisme de Languido, ponctué par le gong. De ces élans tour à tour timides ou avoués Misterioso fait une tendre synthèse, soulignée par un piano élégiaque. En imitation des cordes mais encore du souffle humain, sans doute, une cymbale délicatement caressée par l’archet prolonge à l’infini la méditation.
En fin de concert, nous retrouvons Mirage (2007-2010) – dont l’Orchestre de Paris créait la version pour orchestre il y a quelques années [lire notre chronique du 13 mars 2008] – pour voix, violoncelle et piano, inspiré par un poème de la medicine woman mexicaine María Sabina. Le soprano Pia Freund – qui créa l’œuvre au Festival des Arcs et l’enregistra pour Ondine avec les mêmes artistes [lire notre critique du CD] – étant souffrant, nous découvrons Ruth Rosique dans ce puissant opus incantatoire. L’opulence du timbre s’emporte avec bonheur dans une présence physique cependant rivée aux épaules là où l’on aimerait le ventre. Il n’empêche : sans dépassement, la prestation s’avère musicale.
Avant cela, les jeunes gens du Quatuor Meta4 (qui compte une dizaine d’années d’existence) donnent, outre une lecture généreusement expressive au Quatuor en ré mineur « Voces intimae » Op.56 de Sibelius (final haletant), une version passionnante du second quatuor de Kaija Saarihao, Terra memoria (2007-2009), que nous découvrions à Caen il y a deux ans sous les archets d’Ardeo [lire notre chronique du 10 avril 2011]. L’initial bruissement PPP donne peu à peu naissance au chant discret du premier violon, puis d’un motif obstiné à l’alto, ensuite développé « en partage ». Dans une sonorité intime assez « française » évoluent des plénitudes contrariées, des élans précarisés, des plaintes plus violentes, souvent répétitives. Une virevolte presque romantique s’impose en contrepied d’un lontano ligétien, brisée par de rauques écrasements que vient cicatriser une lente élégie désolée, laissée en suspension.
BB